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Société de Biomécanique
Les pionniers

Fig 01 Bernstein

La commande du mouvement conjecturée
 à partir des tracés biomécaniques

Nikolaj Alexandrovitch Bernstein est élevé dans une famille, où la musique tient une part importante et où l’on parle plusieurs langues (ce qui lui facilitera ultérieurement l’accès à la littérature scientifique et médicale européenne). Il reçoit une formation médicale, à l’instar de son père, médecin psychiatre.

C’est peu de dire que sa vie a été fortement marquée par les évènements historiques qu’a connu alors la Russie. Après les années de guerre et les débuts de la Révolution, il revient à Moscou (en 1921), où il commence sa carrière professionnelle dans une clinique psychiatrique et audiologique. Peu de temps après (en 1922), il rejoint le tout nouvel Institut Central du Travail, où se constitue un groupe de médecins et d’ingénieurs, orienté vers la Physiologie et la Biomécanique du Travail.
C’est là que se révèle son intérêt pour la science.

À la suite de J.E. Marey, et à l’instar de W. Braune et O. Fisher (Der Gang des Menschen, 1895), N.A. Bernstein va commencer par développer de nouvelles techniques d’enregistrement du mouvement, principalement cinématiques (« cyclogrammétrie »), avec une précision alors inégalée. Il augmente la fréquence d’échantillonnage des prises de vue, améliore la technique d’enregistrement graphique et la méthodologie des dépouillements, se soucie de la représentativité de ses échantillons de mesure. Il s’attache également, dès sa publication sur la biomécanique des mouvements de percussion (1923), à l’analyse des tracés biomécaniques sur une base mathématique, afin de dégager les principes de base qui sous-tendent l’organisation du mouvement. Travaillant simultanément dans divers laboratoires et instituts (il quittera l’Institut Central du Travail pour celui de Biomécanique du Sport, en 1934), N.A. Bernstein développe ses recherches.

Celles-ci portent sur une grande variété de mouvements (professionnels, sportifs et artistiques), simples aussi bien que complexes, et exécutés par différentes catégories de sujets (jeunes, adultes, malades pathologiques). Partir d’expériences sur des mouvements relativement simples, comme les mouvements de percussion, pour tenter d’en extraire des principes généraux constitue d’ailleurs l’une des caractéristiques de la démarche de N.A. Bernstein.

C’est ainsi qu’il formule, en 1935, quelques principes de base sur les systèmes autorégulés, et le rôle du feedback dans la régulation du mouvement. Puis, en 1947 (dans « The construction of movements »), il donne une description des niveaux de base des mouvements chez l’homme, allant du niveau élémentaire -spinal et sous-cortical- à différents niveaux corticaux, en charge de la représentation spatiale, de celle de l’objet et de celle de l’aspect symbolique de la tâche.

Il souligne l’impossibilité de rendre compte de la commande du mouvement par un contrôle central direct, et insiste sur le rôle du feedback prenant son origine dans les afférences périphériques.

Malheureusement, la guerre bien sûr, mais aussi, et surtout, les turbulences idéologiques du régime soviétique font qu’à partir des années 1939-40 et pratiquement jusqu’à sa mort (en 1966), N.A. Bernstein sera dans l’impossibilité de mener la moindre expérimentation significative, malgré l’obtention du prix Staline (l’équivalent du Prix Nobel) en 1947. Bien qu’à éclipse, sa bibliographie scientifique est pratiquement vide entre 1949 et 1960, sa production éditoriale n’en sera pas tarie pour autant. Il s’engagera alors dans une réflexion sur la « Physiologie de l’Activité », un système philosophique, où il posera les principes de base d’une approche probabiliste de l’organisation du mouvement dirigé. L’œuvre et la vie de N.A Bernstein sont de nature à susciter de multiples commentaires. On se limitera, à titre d’exemple, à l’évolution de ses idées sous la pression de faits expérimentaux. Ainsi, l’oeuvre de W. Braune et O. Fisher sur la marche par rapport à laquelle la démarche de N.A. Bernstein se structure ressort à un «mécanicisme» strict. Elle sous-entend qu’une tâche motrice donnée résulte d’une configuration de forces unique, c’est-à-dire d’un patron musculaire unique, et que ce patron procède d’une commande centrale directe. Autrement dit, l’activité de chacun des muscles serait réglée de façon prédéterminée par les centres nerveux supérieurs.

Or, quelques années après ses premiers travaux, une étude sur le piano (1929) le conduit à considérer que le même mouvement peut résulter de différentes configurations musculaires. Il se sépare alors de Braune et Fisher, et pose, en 1935, qu’il n’y a pas de relation univoque entre les influx d’origine centrale et la force périphérique. Ainsi, patrons musculaires (donc configuration des forces) et cinématique seraient des entités distinctes (figure). À partir de là, il sera amené à réfléchir au rôle réciproque de la commande centrale et des réflexes dans le contrôle du mouvement, et s’appuiera sur l’œuvre de Sir Charles Sherrington (1857-1952), prix Nobel de Médecine et Physiologie (1932) pour ses travaux sur le Système Nerveux. Il en viendra progressivement à développer le concept selon lequel les mouvements ne devraient pas être considérés comme « des chaînes de détails, mais comme des structures qui sont différenciées dans les détails ».

Pour conclure, la vie de Nikolaj Alexandrovitch Bernstein illumine l’étude du mouvement, à l’instar de celle de J.A. Borelli ou de J.E. Marey. Le rayonnement de ses idées, d’abord limité à un cercle restreint d’amis et collaborateurs, est aujourd’hui international. Avec lui s’ouvre l’ère de la Biomécanique « cognitive », consacrée particulièrement à la compréhension des processus de contrôle du mouvement. Il a œuvré en faveur d’une approche transdisciplinaire, associant Mécanique, Cybernétique, Physiologie et Sciences cognitives, contrairement à la ségrégation entre sciences ignorantes les unes des autres. Une approche transdisciplinaire, encore plus justifiée aujourd’hui.

Simon Bouisset
Professeur émérite
Université Paris-Sud/Orsay

Illustrations

Fig 02 Bernstein

Mouvement circulaire du membre supérieur pour différents angles de l’épaule. Les mêmes trajectoires de la main, réalisées dans des conditions posturales différentes (A et B), sont sous-tendues par des patrons musculaires différents (d’après Bernstein, 1935).

Fig 03 Berstein

Bernstein dans son laboratoire vers 1925 - In Biolocomotion: a century of research using moving pictures - Cappozzo, Marchetti & Tosi - Promograph - 1992

Repères bibliographiques

  • BERNSTEIN, N. - The coordination and regulation of movements  (traduction d’un ouvrage de 1935). Pergamon Press, Oxford, 1967.
  • JANSONS, H. (1992) Bernstein: the microscopy of movement. ISB series, Promograph pub. Roma, vol I (Cappozo A. Marchetti M. and Tosi V. ed.), 137-174. 
  • MEIJER, O.G., WAGENAAR R.C. Bernstein’s rejection of Braune and Fisher, Motor Control, 1999, 2, 95-100.
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