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Société de Biomécanique
Les pionniers

Fig 01 Demeny

La biomécanique du sport à ses débuts

Une bonne compréhension de l’œuvre de Marey nécessite qu’un regard soit porté sur le rôle joué par son meilleur collaborateur, Georges Demenÿ (1850 -1917). Demenÿ reste un chercheur mal connu des physiologistes et des biomécaniciens, malgré tout le travail réalisé à la Station physiologique du Parc des Princes. Autant le parcours de Marey peur être qualifié de linéaire, autant celui de Demenÿ apparaît sinueux. Demenÿ venait d’un milieu totalement étranger à celui qui sera son maître pendant une quinzaine d’années et, passées celles-ci, il s’est dirigé vers des horizons sortant de la recherche universitaire.

Georges Demenÿ est né à Douai en 1850 dans une famille d’origine hongroise. Son père, professeur de musique, l’initie assez tôt à la pratique du violon. En 1870, le jeune Georges n’est qu’un simple membre d’un Cercle de gymnastique, tel qu’il en existe de nombreux dans le pays. Rien ne le prédispose à devenir physiologiste. Candidat malheureux au concours de l’Ecole Centrale, ayant suivi quelques enseignements de mathématique et anthropologie, il débarque à Paris en 1876. Il devient progressivement un très bon gymnaste qui connaît tous les aspects de l’activité physique: course, saut (longueur, perche), travail aux agrès. Il connaît les effets de la pratique de ces activités sur la force musculaire et le perfectionnement du mouvement.

Très bon observateur des élites sportives, Demenÿ se pose des questions sur la biomécanique du mouvement; il critique les méthodes en cours d’enseignement de la gymnastique, considère que celle-ci devrait être obligatoire dans les écoles (vœu exaucé en 1880). La même année, il est l’un des créateurs du Cercle de Gymnastique Rationnelle, organisme qui se développera dans les années suivantes délivrera des enseignements et éditera un Bulletin.

Demenÿ préconise la création d’institutions privées pour le développement de l’éducation physique. Il est en phase avec les autorités civiles déjà engagées dans les programmes de gymnastique militaire. La gymnastique est devenue un facteur de développement physique et mental de la population. Paul Bert, physiologiste et homme politique avisé, en est conscient, et incite Demenÿ à prendre contact avec son collègue Marey. Fin 1880, Demenÿ rencontre Marey, dont il a entendu parler. Marey, professeur au Collège de France, décèle en lui une personne de bonne volonté, dépourvue d’une bonne formation scientifique initiale mais très désireuse d’apprendre et connaissant bien les milieux de l’éducation physique. Demenÿ survient à point, alors que Marey, à l’étroit dans ses locaux du Collège de France, caresse le projet de créer, à l’écart de celui-ci, une « Station Physiologique » spacieuse, qui lui permettrait d’expérimenter sur l’homme. Un aide lui serait nécessaire sur le terrain. De plus, son administration n’ayant pas accepté de financer son projet, Marey pense se retourner vers le Conseil municipal de Paris, très sensible au développement des activités gymniques C’est ce dernier qui financera la création de cette « Station ». Le profil de Demenÿ convient donc à Marey, qui le prend comme aide, sans attendre de pouvoir le rémunérer. Demenÿ sera rapidement nommé préparateur, puis chef de laboratoire (1882).

Les rapports qui vont s’établir entre Marey et Demenÿ, autodidacte non diplômé, sont ambigus. La relation entre les deux hommes est d’abord de maître à élève, mais aussi de père à fils, puis de directeur de laboratoire à homme de confiance. Les mauvaises langues diront plus tard (en raison de divergences): de tyran à esclave. Marey est absent de Paris de 4 à 5 mois dans l’année, retiré chaque été dans la villa qu’il a achetée dans les faubourgs de Naples (où il a monté un petit laboratoire), ou dans ses vignes du Beaujolais.

Le rôle de Demenÿ va devenir de plus en plus important. Il se trouve chargé de démarches administratives, du suivi de dossiers, de la surveillance de la construction de la «Station»; il doit en permanence expédier à son maître du matériel expérimental, des documents photographiques ou des dessins pour illustrer ses cours à venir ou les ouvrages qu’il est en train de rédiger. Ainsi, Demenÿ, collaborateur fidèle, est devenu une partie de l’année celui qui fait « à la place » de l’absent, son homme à tout faire, comme en témoignent les lettres (400) reçues de Marey de 1880 à 1894. Marey apparaît comme dominateur et exigeant dans sa correspondance («Veuillez…»). Demenÿ, vieux garçon, hostile au mariage, fait corps avec la «Station» au point de venir y loger, dans l’un des chalets qui y ont été construits. À diverses reprises pendant cette période, Marey restera attentif à ce que Demenÿ n’oublie pas de poursuivre les expérimentations menées suivant ses propres idées, et de rechercher les moyens de trouver un statut social décent.

Demenÿ avait vu dans la collaboration qui s’institue avec Marey l’occasion de mieux comprendre l’homme en mouvement et de participer à la mise au point de techniques de mesure. Dans la construction d’appareils photo, Demenÿ fait figure de technicien réalisant les idées projetées par son maître. Dans le travail d’équipe, ce qui revient à chacun est parfois difficile à estimer. Les différences d’appréciation de l’un et l’autre, la paternité sur tel ou tel sujet, seront à partir de 1886 à l’origine de tiraillements, conduisant à une regrettable séparation (1894) qui ternira les jugements de Marey sur son collaborateur: esprit vif, inventif, entreprenant, excellent mathématicien, habile dessinateur, précis et concis dans ses exposés.

Demenÿ a pu expérimenter, avec son maître ou seul, en utilisant des appareils déjà en service, dont certains ont été améliorés par lui ou de son invention (éventuellement brevetés) : chronophotographe à plaque fixe ou mobile, phonoscope permettant prises de vues et projection d’images à partir d’un film transparent, dynamographe (plateforme de forces). La contribution de Demenÿ dans l’étude de la marche est évidente, en dehors de sa contribution à l’installation de la grande piste circulaire de la Station et de l’ensemble des dispositifs de prise de vues.

Ce qui préoccupe Demenÿ dans la locomotion, ce sont les rapports entre les caractéristiques du pas et la réaction du sol qui le détermine. La chaussure dynamométrique lui donne les temps de contact du pied avec le sol (pointe et talon). Les vues successives de la position des membres et du corps, objectivés par des repères, sont mises en relations avec les mesures de forces de réaction, ce qui conduit à la connaissance cinétique et cinématique du mouvement. Demenÿ compare les caractéristiques de diverses modes de progression: marche normale, en flexion, pas de charge, pas cadencé. Il s’intéresse au rôle des muscles antagonistes et à l’effet de l’élasticité musculaire. Abordant le calcul du travail produit au cours de la marche, il l’estime par produit de l’élévation du centre de gravité par la distance parcourue, c’est-à-dire parle seul travail des forces extérieures. Néanmoins, il montre qu’à partir d’une certaine vitesse la course devient moins coûteuse que la marche, ce qui sera confirmé plus tard par des mesures de la dépense énergétique. Dans les études sur le saut, il met en évidence les effets sur les forces de réaction du mouvement des bras.

Il vient un moment où Marey, agacé par les manifestations d’indépendance de son collaborateur, souhaite trouver un aide plus jeune, plus malléable.

Il pense que Demenÿ, ayant acquis une certaine compétence devrait prendre son essor et poursuivre ses recherches suivant ses désirs. La séparation a lieu en 1894. Demenÿ quitte la Station (en passe de devenir l’Institut Marey) pour s’installer avec son matériel à Levallois-Perret. Son intention est d’appliquer aux sportifs, avec lesquels il garde le contact, les techniques avec lesquelles il s’est familiarisé. Les objectifs de la Gymnastique rationnelle sont toujours les mêmes : l’activité physique est bonne pour la santé, elle développe en plus la beauté du corps, elle est susceptible d’améliorer la qualité du mouvement, et par là en diminue le coût, elle développe le sens moral de l’individu.

Demenÿ a donc développé une véritable physiologie de l’effort, exposée dans Les bases scientifiques de l’éducation physique (1902) et Mécanismes et éducation des mouvements (1903), dont l’intérêt déborde l’éducation physique, pour intéresser aussi la pathologie locomotrice et la médecine du travail, et ce qui sera plus tard l’ergonomie.

Hugues MONOD
Professeur émérite de Physiologie
Université Pierre et Marie Curie

Illustrations

 Fig 02 Demeny

 Diagramme d’une chute élastique sur la pointe des pieds. En haut : enregistrement chronophotographique. En bas : forces de réaction du sol selon l’axe vertical (plateforme de force). (Mécanismes et éducation des mouvements, 1903)

Fig 03 Demeny

 Photos G. Demenÿ

Fig 04 Demeny

 Photos G. Demenÿ

Références bibliographiques

  • DEMENŸ, G. : Les bases Scientifiques de l’Education Physiques, Alcan, 1902.
  • DEMENŸ,G. : Mécanisme et Éducation des Mouvements, Alcan 1903 (réimpression : Édition Revue EPS, 1993).
  • LEFEBVRE,T., MALTHETE, J., MANNONI L. : Lettres d’Etienne-Jules Marey à Georges Demenÿ (AFRHC, Bibliothèque du film, 1999).
  • POCCIELO, C. :La Science en Mouvements – Etienne Marey et Georges Demenÿ (PUF, 1999).
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