Sélectionnez votre langue

Société de Biomécanique
Les pionniers

Fig 01 Duchene

De la stimulation musculaire au concept de synergie

En utilisant différents stimulateurs mis au point par le courant galvanique ou par le courant faradique, Guillaume Duchenne de Boulogne (1806-1875) a été un des premiers scientifiques au milieu du 19e siècle à analyser aussi précisément l’organisation musculaire et nerveuse humaine. Ainsi grâce à lui, la stimulation électrique musculaire a été utilisée dans le domaine du diagnostic et de la thérapeutique. Elle a permis d’identifier scientifiquement un certain nombre d’affections neurologiques comme la maladie de Duchenne, caractérisée par une atrophie musculaire progressive d’origine génétique. Mais c’est surtout l’originalité et la rigueur de sa pensée scientifique ainsi que son association ultérieure avec Jean Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière qui lui a permis de se situer autant comme Physiologiste que comme Neurologue. Il a introduit dans le domaine physiologique le concept de synergie musculaire ou de coordination motrice, qui montre que certaines fonctions ne peuvent être assurées que par la contraction simultanée et/ou séquentielle d’un certain nombre de muscles dans le mouvement volontaire, la posture et la locomotion. Il a aussi été parmi les premiers à proposer que ces synergies soient le résultat d’une organisation préexistante au niveau de certains centres nerveux de la moelle et du tronc cérébral. Ses idées ont été reprises par Charcot, qui a considéré Duchenne comme son maître, et par la suite par Babinski, notamment dans sa description de l’ « asynergie cérébelleuse », traçant ainsi une école de pensée qui a traversé trois générations de Neurologues.

Biographie

Guillaume Duchenne est né en 1806 à Boulogne sur mer d’une famille de marins. Son père était un des corsaires qui naviguait vers les colonies, le long des côtes américaines à la fin du 18e et au début du 19e siècle pendant l’époque napoléonienne. Docteur en médecine en 1831, il exerce à Brest comme praticien et commence à s’intéresser à l’«électrisation localisée», utilisant une bobine à induction pour produire un courant faradique et stimuler différents muscles chez l’Homme. En 1842, il va à Paris avec son appareil de stimulation faradique, proposer ses services à différents hôpitaux parisiens, où il procède à l’analyse de l’effet de la stimulation musculaire. Introduit à la Salpêtrière dans le service de Charcot, il sera considéré comme un Maître (Clarac et al, 2009).

Duchenne de Boulogne en réalisant avec son appareil d’induction et ses deux « rhéophores humides» (électrodes) la stimulation des muscles chez les patients va avoir une approche unique de l’anatomie fonctionnelle des muscles squelettiques in vivo. Il établit une carte des points moteurs des différents muscles, dont la stimulation provoque la contraction avec le seuil le plus bas. Il identifie ainsi et clarifie l’action de nombreux muscles individuels. L'inventaire des fonctions articulaires des muscles qu'il a ainsi dressé (Duchenne, 1867) reste encore aujourd'hui une référence.

Il s’est vite convaincu que les mouvements sont le résultat de l’action de groupes musculaires agissant en synergies. « La galvanisation musculaire est amenée à établir d’une manière exacte les usages d’un grand nombre de muscles. On sait qu’il en est très peu qui peuvent se contracter sous l’influence de la volonté. La plupart au contraire ne font que concourir à des mouvements d’ensemble. » (Duchenne de Boulogne, 1855). Il était aussi connu pour sa description d’affections neurologiques dont la plus connue est la maladie de Duchenne, caractérisée par une dégénérescence progressive des muscles, dont on connaît actuellement l’origine génétique. Il a été le premier à recourir à des prélèvements biopsiques dans le muscle vivant pour recourir à l’examen microscopique du tissu musculaire. La réputation de Duchenne de Boulogne dans le domaine de la stimulation musculaire et de la Neurologie a largement dépassé les frontières de la France. Il a été nommé membre de Sociétés savantes étrangères, et appelé en consultation auprès de personnalités internationales de haut rang. Il est décédé en Septembre 1875, veillé jusqu’à sa fin par Charcot qui est resté plusieurs jours et nuits à ses côtés.

Conceptions de Duchenne sur les synergies musculaires

Duchenne dans son traité de 1867 reprend la classification des muscles de Jacob Winslow (1669-1760) en décrivant les muscles impulsifs ou principaux moteurs qui effectuent le mouvement, les muscles modérateurs, qui s’opposent au même mouvement, et enfin les muscles directeurs, ou collatéraux qui assurent la direction du mouvement, notamment en présence d’enarthroses, c’est-à-dire d’articulations en forme de rotule, comme celle de l’épaule. Duchenne estime que « la contraction isolée du muscle n’existe pas dans la nature (Duchenne, 1867)». Dès lors, il considère que « tous ces mouvements des membres et du tronc résultent d’une double excitation nerveuse, en vertu de laquelle les deux ordres de muscles qui, par leur association, possèdent une action contraire…sont mis simultanément en contraction, les uns pour produire ces mouvements, les autres pour les modérer (Duchenne, 1867 p 766)». Certaines synergies sont particulièrement complexes. A titre d’exemple Duchenne cite l’extension complète de la main et des doigts. Il montre que cette extension n’est pas due seulement à l’action des muscles extenseurs des doigts, mais à une combinaison de contractions musculaires qui incluent les fléchisseurs des doigts (qui agissent sur la première phalange), les muscles interosseux (qui étendent la seconde et la troisième phalange, mais aussi fléchissent la première phalange) et les muscles palmaires qui empêchent la dorsi-flexion du poignet due aux muscles extenseurs. (Duchenne, 1867 p 764). L’idée de synergies musculaires associant les muscles agonistes et antagonistes a eu du mal à être acceptée de son temps. Aujourd’hui, la plupart des neurophysiologistes moteurs acceptent l’idée que les deux formes de relations musculaires (innervation réciproque, co-contraction) peuvent être observées également en fonction du mouvement (voir Bouisset et Maton, 1995).

Transposant sa réflexion du mouvement simple aux mouvements pluri-articulaires, comme la station debout, Duchenne propose un mécanisme semblable. « Il existe une grande analogie entre les synergies musculaires mises en action lors de la station verticale et celles qui produisent les mouvements volontaires des membres. En effet, dans la coordination des mouvements de la colonne vertébro-cranienne, qui préside à la station verticale, on doit considérer deux ordres de phénomènes principaux : 1° l’association musculaire qui produit son extension. 2° l’harmonie des muscles antagonistes, qui modère et assure cette extension et l’attitude normale du rachis» (Duchenne, 1867, p768).

C’est au mécanisme de la locomotion qu’il s’intéresse ensuite, avec ses deux phases d’appui et d’oscillation. Pour lui, une fonction aussi complexe et précise doit émerger avec la coopération d’une « faculté de coordination ». Dans la locomotion cette coordination était pour lui le meilleur exemple de l’organisation centrale qui met en action… «L’association des muscles agonistes et antagonistes » (Duchenne, 1867, p759). Il s’intéresse surtout à la phase d’oscillation de la marche, et maintient sur la base de ses observations cliniques, que cette phase est due à la synergie des muscles fléchisseurs de la hanche, du genou et de la cheville. Il ne retient pas la vue exprimée par les frères Weber (1838) selon lesquels cette phase serait due au mouvement pendulaire passif de la jambe: « ce membre ne pourrait osciller dans la cavité cotyloïde s’il était dans l’extension ; c’est pourquoi ses trois segment (cuisse, jambe et pied) sont infléchis les uns sur les autres par la contraction des muscles qui opèrent chacun de ces mouvements et non par la seule action du membre oscillant considéré par la théorie de Mrs Weber comme un pendule composé de segments de longueur différente» (Duchenne, 1867, p 761).

Il croit à une organisation centrale du mouvement en songeant au cervelet dans la coordination motrice, puis au tronc cérébral : « On conçoit donc parfaitement que la lésion des cordons et des racines postérieures puisse troubler le fonctionnement de la coordination locomotrice; mais c’est plus haut qu’il faut aller rechercher la source de la force nerveuse locomotrice, le point du myélencéphale doué de la virtualité appelée faculté coordinatrice de la locomotion» (Duchenne 1867, p.791).

Conclusions

A partir d’une instrumentation très simple à stimulation faradique, et d’une observation attentive de l’organisation musculaire normale et pathologique, il a su construire une théorie des synergies et des coordinations musculaires, organisées centralement, qui a été bien trop oubliée et qu’il nous a paru nécessaire de rappeler. Les travaux de Bernstein (1967) ont fait apparaître ultérieurement une autre conception des synergies, de nature flexible, liées à l’apprentissage et aux rétroactions sensorielles, pour tenir compte des contraintes biomécaniques et des forces extérieures.

François CLARAC
Directeur de Recherche émérite CNRS


Jean MASSION
Directeur de Recherche émérite CNRS

 Illustrations

Fig 02 Duchene

Figure 1 : Duchenne de Boulogne - plaque située à l’Institut de Myologie, Paris

 

 

Fig 03 Duchene

Figure 2 : Appareil de Duchenne de Boulogne, construit par Charrière. Deux réophores (électrodes), humidifiés et reliés à un appareil d’induction, et placés au contact du corps, permettent de stimuler les nerfs ou les muscles directement sur la peau. Musée d'histoire de la médecine, Paris

 Références bibliographiques

  • Bernstein, N.A., 1967 The Coordination and Regulation of Movements. Pergamon Press, N. Y.
  • Bouisset,S. et Maton,B. 1995 Muscles, posture et mouvement. Hermann, Paris
  • Clarac,F., Massion, J. and Smith, A.M. 2009 - Duchenne, Charcot and Babinski, three neurologists of La Salpetrière Hospital, and their contribution of the central organization of motor synergy. Journal of Physiology, Paris, 103 : 361-376
  • Duchenne de Boulogne, G., 1855. De l'électrisation localisée et de son application à la physiologie à la pathologie et à la thérapeutique. Baillere Paris. (2nd ed. 1861, 3rd ed. 1872)
  • Duchenne de Boulogne, G., 1867. Physiologie des mouvements démontrée à l'aide de l'expérimentation électrique et de l'observation clinique et applicable à l'étude des paralysies et des déformations. Paris. Baillère. Republié en 1967 à Lille par la Société française de médecine physique.
  • Weber, G., Weber, C., 1838. Mécanique de la locomotion chez l'homme. Encyclopédie Anatomique., traduction de l’Allemand par AJL Jourdan T II, livre III.
Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
En savoir plus
General
Général
Gestion des sessions
Accepter
Décliner
Analytics
Outils utilisés pour analyser les données de navigation et mesurer l'efficacité du site internet afin de comprendre son fonctionnement.
Matomo
Logiciel libre et open source de mesure de statistiques web
Accepter
Décliner