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Société de Biomécanique
Les pionniers

 Sherrington 01

 

Les fondements de l'organisation du mouvement

Après de brillantes études de médeicine au St Thomas' Hospital Medical School de Londres qu'il termine en 1876, Charles Scott Sherrington poursuit sa formation en étudiant la physiologie à l'Université de Cambridge sous la supervision de deux scientifiques de renom, Sir M. Foester et J. Langley. C'est avec ce dernier qu'il publie ses premiers travaux de recherche sur le cerveau chez le chien. Après avoir occupé divers postes de "démonstrateur" en anatomie et de chargé de cours, il devient professeur de physiologie à l'Université de Liverpool en 1895. En 1914, il est nommé à la chaire de physiologie à l'Université d'Oxford, où il restera jusqu'à sa retraite, à l'âge de 79 ans. En 1906, il publie un ouvrage intitulé "The integrative action of the nervous system" qui fera référence dans le domaine pendant de très nombreuses années. En compagnie de Sir Edgar D. Adrian, il reçoit, en 1932, le prix Nobel de physiologie et de médecine pour ses travaux sur les neurones médullaires et plus particulièrement pour la mise en évidence de l'intégration sensori-motrice au sein même de la moelle épinière.

Le système médullaire et l'intégration sensori-motrice 

La contribution de Sherrington dans le domaine des neurosciences est riche et variée. 

L'apport que l'on retient habituellement de son œuvre est lié à ses études sur les réflexes médullaires et l'organisation périphérique de la motricité. Pour son accessibilité et sa simplicité d'interprétation, il choisit le modèle du chat décérébré pour étudier l'interaction entre les systèmes sensoriel et moteur (intégration sensori-motrice) et plus particulièrement les phénomènes excitateurs et inhibiteurs. Les concepts développés, comme par exemple la proprioception, font partie, encore aujourd'hui, de la majorité des ouvrages de base de physiologie. Ainsi, il documente les travaux princeps de H. Erb (1875) sur le réflexe d'étirement. Ce réflexe, appelé réflexe myotatique par Sherrington, est obtenu lors de l'allongement rapide du muscle et se caractérise par une contraction brusque de ce dernier après une latence de courte durée. Sur base de travaux effectués en collaboration avec E. Liddell, il arrive à la conclusion que ce réflexe est déclenché à partir des fuseaux neuromusculaires (détecteurs de longueur du muscle). Ils constatent que si les fibres nerveuses en provenance du muscle sont sectionnées, le réflexe est aboli, ce qui démontre son origine musculaire (Fig. 1).

Sherrington décrit également le rôle joué par d'autres fibres sensorielles en provenance du muscle, des articulations et de la peau et met en évidence que les neurones de la moelle épinière sont des lieux d'intégration et de sommation spatio-temporelle des diverses informations sensorielles qui y arrivent. Il rapporte aussi qu'environ 1/3 des fibres dans les nerfs sont constituées de fibres sensorielles et décrit la distribution des champs cutanés couverts par les fibres sensorielles issues de chaque racine nerveuse dorsale. Enfin, il montre que, contrairement à ce qui était admis à l'époque, une racine ventrale issue de la moelle épinière pouvait innerver de nombreux muscles, certains étant parfois antagonistes. 

Sur base de ses données expérimentales, Sherrington développe le concept d'inhibition active. A cette époque, l'inhibition était connue mais considérée comme passive. Par exemple, il observe qu'une stimulation cutanée, simultanée du membre opposé provoque une inhibition du réflexe en cours du membre ispilatéral (innervation croisée). Il découvre et appellera "innervation réciproque" la coordination entres muscles antagonistes d'un même membre. Il constate par ailleurs, qu'en parallèle au réflexe myotatique, les muscles antagonistes sont transitoirement relâchés. Il démontre que ce relâchement est bien en lien avec l'activation du muscle agoniste et introduit le terme d'inhibition réciproque pour définir ce phénomène. Sous le contrôle du système nerveux central, ce mécanisme est en réalité le fondement même de la majorité de nos mouvements au cours desquels les muscles agonistes et antagonistes sont alternativement activés et inhibés. En outre, il s'intéresse aux activités locomotrices rythmiques mais, dans ce domaine, son apport apparaît cependant comme étant plus restreint (cf Stuart et coll., 2001). 

Même si ces études ont été principalement réalisées sur l'animal décérébré, limitant ainsi son intégration dans un contexte plus global de la motricité volontaire, les notions apportées par Sherrington constituent la base même de notre compréhension du système sensori-moteur.      

Les concepts de synapse, de voie finale commune et d'unité motrice 

De nombreux concepts de base ont émergé des expérimentations menées par Sherrington sur les réflexes médullaires. Parmi ceux qui n'ont pas encore été développés, il convient de citer:

Le concept de synapse. Dans la continuité des travaux de S. Ramon Y Cajal et de C. Golgi sur la structure du système nerveux, Sherrington relie, à partir de ses propres expérimentations, la structure à la physiologie ainsi qu'au comportement. Suite à l'observation de A. Waller (1850) que la dégénération de la partie périphérique d'un nerf consécutive à sa section s'arrête avant le neurone suivant, il introduit avec M. Foster (1897), le terme de "synapse" pour définir la connexion entre deux neurones. Il faudra néanmoins attendre les travaux de G. Palade et S. Palay en 1954 pour avoir la confirmation de l’existence réelle de la synapse. Cette notion est fondamentale car elle explique le sens de la conduction nerveuse, le délai de cette conduction dû au franchissement de la (des) synapse(s) ainsi que la continuation de l'influx nerveux même après l'arrêt du stimulus. 

Le concept de la voie finale communeLa production de force et par conséquent nos actions motrices sont le résultat d'une commande nerveuse transmise à nos muscles, conduisant in fine à sa contraction.  Si la commande centrale est le résultat d'une organisation complexe mettant en jeu différentes parties de notre cerveau, au niveau médullaire, le signal de sortie est le neurone moteur (motoneurone). Il constitue la "voie finale commune" de tous mouvements, qu'ils soient d'origine volontaire, automatique ou réflexe (Figure 2). Au-delà du motoneurone, la modulation du message nerveux envoyée au muscle n'est plus possible.

Le concept d'unité motrice. Une autre question majeure pour l'époque était de savoir si un motoneurone innervait une seule fibre musculaire ou un ensemble de plusieurs fibres. Même si la réponse à la question pouvait être implicitement déduite à partir d'expérimentations antérieures, le terme d'unité motrice est introduit pour la première fois par Liddell et Sherrington en 1925 sur base de leurs travaux. Ils définissent l'unité motrice comme étant constituée par : "le motoneurone, son axone et les fibres musculaires innervées par ce dernier". Ce concept, toujours d'actualité, a servi de base par la suite au développement du principe de grandeur de Henneman (1957), à savoir que lorsque la commande nerveuse centrale s'intensifie, les unités motrices sont progressivement recrutées selon la taille de leur motoneurone. 

Le contrôle supramédullaire de la motricité

Si les travaux menés par Sherrington sur le système nerveux central chez le singe étaient novateurs pour l'époque, ceux-ci n'ont pas eu le même retentissement historique que ceux effectués sur la moelle épinière. On retiendra pourtant ses études sur le cervelet et la fonction de la voie spino-cérébelleuse, ses investigations utilisant la lésion de racines nerveuses ou l'ablation de zones corticales afin de mieux comprendre l'organisation des voies sensorielles et motrices, ainsi que celles utilisant la stimulation électrique pour délimiter la zone correspondant à l'aire motrice corticale. Cette dernière approche a d'ailleurs jeté les bases des cartes corticales établies chez l'Homme (homonculus) quelques années plus tard (1950) par l'un de ses élèves, W. Penfield. Bien que la qualité des travaux de Sherrington dans ces domaines soit remarquable, c'est surtout leur interprétation qui en a limité leur portée.

En effet, la principale fonction qu'il accorde au cerveau est de contrôler les activités réflexes sous-jacentes par l'intermédiaire d'extérocepteurs comme la vision et l'audition. Il oppose ceux-ci aux propriocepteurs qui modulent l'activité musculaire au niveau médullaire. Même si Sherrington ne s'est pas aventuré dans l'interprétation de l'organisation centrale du mouvement volontaire, il souligne néanmoins avec force, lors de la conférence qu'il donne à l'occasion de la remise de son prix Nobel en 1932, le rôle joué par l'inhibition active comme mécanisme global de coordination du système nerveux central. A l'époque beaucoup de chercheurs pensaient que l'élaboration et la modulation de la commande volontaire résultaient d'une simple variation d'intensité de l'excitation. On sait aujourd'hui que ce n'est pas le cas et que la modulation de nos actions est l'expression d'une constante intégration entre excitation et inhibition. Ici aussi, Sherrington est, avec d'autres scientifiques de son époque, à l'origine de ce concept.

Outre son apport scientifique personnel et celui de ses collaborateurs, Sherrington a formé des   scientifiques de renom dont certains ont contribué de manière remarquable à l'évolution des 

connaissances dans le domaine des neurosciences. Parmi ceux-ci, on retiendra les noms de R. Granit, J. Eccles et H. Florey, tous trois lauréats du prix Nobel.

Jacques DUCHATEAU
Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
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Illustrations

Sherrington 02

Figure 1. Illustration de la contribution mécanique du réflexe myotatique chez le chat décérébré. Le muscle quadriceps est allongé progressivement (7 mm pendant ~1.5s) et maintenu ensuite à la même longueur (tracé T, pointillés). Les tracés M (continu) et P (interrompu) correspondent à la force produite par l'allongement, respectivement, lorsque l'innervation est préservée (M) ou supprimée après section du nerf correspondant (P). La force produite en P est due à l'allongement passif de la composante élastique parallèle du muscle tandis que la différence entre les tracés M et P correspond à la contribution mécanique du réflexe.  A noter que le réflexe est inhibé lors de la stimulation du nerf innervant la musculature antagoniste (ii’). D'après Liddell et Sherrington (1925).

 

Sherrington 03 

Figure 2. Schéma illustrant la voie finale commune proposée par Sherrington. Le motoneurone (MN) est le lieu d’intégration, au niveau médullaire, des différentes afférences sensorielles facilitatrices (A & B) et inhibitrices (C) en provenance de nos capteurs périphériques (musculaires, articulaires, cutanés) et des voies descendantes directe (D) ou indirecte (E) d’origine supramédullaire. De nos jours, s’il est bien admis que le signal de sortie vers l’effecteur (Muscle) reste le motoneurone, on sait depuis les travaux de Lundberg dans les années 70 que l’intégration sensori-motrice se fait au sein d’interneurones situés en amont des motoneurones.

Quelques références 

Sherrington C.S. (1906). The integrative action of the nervous system. New Haven, Yale University press.

Sherrington C.S. (1910). Flexion-reflex of the limb, crossed extension-reflex, and reflex stepping and standing. J. Physiol. 40:28-121. 

Sherrington C.S. (1913). Further observations on the production of reflex stepping by combination of reflex excitation with reflex inhibition. J. Physiol. 47:196-214. 

Sherrington C.S. (1925). Remarks on some aspects of reflex inhibition. Proc. R. Soc. Lond. B97: 519-545.

Liddell E.G.T. and Sherrington C.S. (1925). Recruitment and some other features of reflex inhibition. Proc. R. Soc. Lond. B97:488-518.

Pour en savoir plus sur l'oeuvre de Sherrington

Stuart D. G., Pierce P.A., Callister R.J., Brichta A.M. and McDonagh J.C. (2001). Sir Charles S. Sherrington: Humanist, Mentor, and Movement Neuroscientist. In: "Classics in Movement Science" (Latash M.L. and Zatsiorsky V. eds). Champaign, IL: Human Kinetics, pp. 317-374.

Clarac F. and Barbara J.-G. (2011). The emergence of the “motoneuron concept”: From the early 19th C to the beginning of the 20th C. Brain Res. 1409: 23-41.

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