Sélectionnez votre langue

Société de Biomécanique
Les pionniers

Amar 01 

Jules Amar vers 1930

Pionnier de la Physiologie du travail et concepteur de Prothèses

Le renom de Jules Amar est dû à ses travaux sur la bioénergétique humaine et sur la biomécanique de la marche, inspirés par ses deux illustres prédécesseurs, J.E. Marey (1830-1904) et J.B Chauveau (1817-1927). Amar est né à Tunis en 1879 d'une mère tunisienne et d'un père algérien. Il obtient son baccalauréat à Alger à l'âge de 19 ans et vient à Paris pour y suivre des études supérieures. Il s'inscrit en licence à la Sorbonne et suit les enseignements d'Albert Dastre, physiologiste de la nutrition. 

Une entrée de plain-pied en physiologie du travail. 

Chargé d'abord de quelques missions scientifiques en Algérie, il entreprend rapidement une recherche sur le rendement musculaire de sujets exerçant diverses activités physiques, marche et transport de charges. Pour ce faire, il effectue parallèlement une évaluation du travail mécanique et une mesure de l'énergie dépensée à partir des échanges respiratoires, utilisant aussi le cyclo-ergomètre mis au point par  Elisée Bouny en 1897 dans le Laboratoire de Marey. Le même protocole est repris dans les locaux du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), rue Saint-Martin. Il poursuit le même type d'investigation dans le Laboratoire de physique médicale de Georges Weiss à la Faculté de médecine. Les données expérimentales qu'il a obtenues au cours des ces quelques années font l'objet de sa thèse d'Etat, consacrée au Rendement de la machine humaine. Ce titre signe l'intérêt qu'Amar a porté aux leçons de Paul Bert (La machine humaine, 1867-68) et à l'ouvrage de Marey (La Machine animale, 1873). 

L'attention d'Amar se porte aussi à cette époque sur l'étude de gestes professionnels. Le travail du limeur à l'étau, activité très répandue dans les ateliers, est livré à la bioénergétique : le poids de la limaille obtenue est un indice du travail musculaire fourni, tant par les membres supérieurs que par les membres inférieurs assurant la stabilité du tronc. La consommation d'oxygène est mesurée en parallèle. Les rapports entre les deux grandeurs sont tributaires des modalités d'exécution des mouvements et permettent de définir les conditions dans lesquelles le travail est le moins couteux, c'est-à-dire le plus économique, susceptible d'être le moins fatigant pour l'opérateur. La posture de travail redressée, la position respective des pieds et de la main qui travaille requièrent toute son attention.

Amar s'interroge sur la transmission de la force musculaire sur l'outil de travail. Pour cela il imagine de placer des capteurs de force, mécaniques ou pneumatiques, au niveau de la main qui tient l'outil ou dans le corps même de celui-ci : manche lime (Fig.1), manche de pelle, manche de brouette. Il met en évidence des coûts différentiels en fonction de la nature du métal travaillé, ou du type d'outil utilisé.

Dès 1910, les problèmes d'organisation scientifique du travail ouvrier préoccupaient les milieux politiques et gouvernementaux; de longues discussions s’engagent auxquelles fait suite la création au CNAM en mai 1913 d'un « Laboratoire d'étude du travail musculaire professionnel ». Amar en a reçu la direction en juillet 1914 et s'installe rue Saint-Martin dans deux grandes pièces, disposant de deux aides et d'un petit crédit de fonctionnement. 

La conception des prothèses pour blessés de guerre

En raison des hostilités, le Laboratoire de Jules Amar est fermé en juillet 1914 et transformé en « Laboratoire des prothèses militaires ». Amar en devient le sous-directeurau sein du Magasin central du Service de Santé des Armées. Ce changement détourne Amar de ses intentions initiales, c'est-à-dire l'observation de l'homme au travail avec une approche physiologique. Quoi qu'il en soit, l'urgence est de mettre la biomécanique au service de la réhabilitation des blessés de guerre et de leur remise au travail. Jules Amar subit une réorientation forcée vers une recherche appliquée qu'il n'a pas choisie. Il s'y active en plusieurs étapes : analyse scientifique du déficit moteur, conception d'un appareillage spécifique, rééducation motrice, réadaptation au travail professionnel.

Il s'attaque en premier à l'évaluation objective des handicaps moteurs, principalement des blessés qui ont subi une amputation. Il crée pour cela un dispositif permettant d'établir, en mobilité et en force, le bilan segmentaire du reste de musculature au membre atteint. Il construit un appareil, l'Arthrodynamomètre, qui précise les niveaux de force en fonction de la position articulaire, en condition statique, comme en condition dynamique. Ces données sont celles qui permettraient l'établissement du diagramme tension/longueur, concept bien ultérieur. L'appareil est également utilisé pour suivre les étapes successives de la rééducation du blessé.

La suite logique des préoccupations d’Amar réside dans le choix d'une prothèse apte à restituer aux blessés ou amputés un minimum de force utile. Une des difficultés qu'il rencontre vient du fait qu'il n'est pas lui-même médecin et qu'il doit tenir compte de l'existence des prothèses créées dans différents services médicaux spécialisés. Il a cependant ses idées personnelles sur les matériaux les plus aptes à réaliser une prothèse aussi légère que possible, tout en étant suffisamment rigide pour transmettre les forces musculaires (bois, métal léger, acier, cuir bouilli). Il définit les conditions optimales d'utilisation des prothèses : la parfaite cicatrisation du moignon qui ne doit pas être le siège de douleurs, l'appareillage qui ne doit pas être agressif aux points de contact avec la peau et ne doit pas faire obstacle à l'élimination de la sueur accompagnant tout travail musculaire.

Amar conçoit d'abord un bras de travail pour les sujets amputés au-dessus du coude. La prothèse comporte un manchon fixé sur le moignon par des sangles, l'ensemble étant plaqué sur l'épaule et le thorax et maintenu par une ceinture passée sous l'aisselle du côté opposé. La prothèse est terminée à son extrémité par un bras métallique orientable, qui peut recevoir une main de parade (fig.2) ou une pince universelle, susceptible de tenir fortement un outil de travail. L'avant-bras d'Amar est plus simple ; la prothèse est fixée directement sur le manchon enserrant le bras et l'avant bras porte à son extrémité une pince pouvant être orientée dans toutes les directions en fonction du travail à réaliser. Pour l'exécution de mouvements fins, il est amené à concevoir des mains artificielles avec mobilisation individuelle des doigts, fixées sur des prothèses plus légères (écriture, frappe à la machine), avec conservation de l'opposition du pouce. Les améliorations de ses prothèses sont à l'origine du dépôt par Amar de nombreux brevets d'invention.

Dans le prolongement de ses études sur l'énergétique du travail musculaire, Amar s'était intéressé à différentes modalités de déplacement : marche en montée, marche sur escalier, sur plan incliné, marche avec charge, marche en poussant une brouette ou tirant une charrette. Il se penche  donc tout naturellement sur la marche chez les blessés des membres inférieurs. Il imagine des prothèses fixées suivant les mêmes principes que pour les membres supérieurs, mais d'installation plus simple puisqu'une fois en place elles sont en partie maintenues par le poids du corps. 

Des essais de prothèses de marche sont réalisés sur trottoir dynamométrique. Les amputés du membre inférieur se déplacent sur un pilon adapté ou en utilisant des béquilles. La pression qui s'exerce au niveau des aisselles induit qu'une pratique prolongée comporte une compression douloureuse du plexus brachial. Il conçoit donc une béquille physiologique bien adaptée à la taille du sujet, qui réduit la pression au niveau des aisselles grâce à des ressorts, plus ou moins tendus en fonction du poids du sujet. Ils amortissent les chocs survenant à chaque pas. De plus la détente des ressorts, lorsqu'un pas est effectué, imprime au corps un mouvement de propulsion vers l'avant, tout en diminuant la pression au niveau de l'aisselle. Le travail des jambes s'en trouve facilité. Dans ce processus d'auto-réhabilitation, le sujet et ses béquilles fonctionnent comme un tout. 

Le réapprentissage de la force musculaire

Vient ensuite la rééducation fonctionnelle. Le mutilé, chirurgicalement traité et correctement appareillé, doit s'entrainer à utiliser au maximum ses muscles restants. Il s'agit d'obtenir des gains de force, comme chez le sujet normal. Amar utilise pour cela tout dispositif permettant la réalisation de contractions isométriques par le moignon.  Pour la rééducation du mouvement, dont le but est de rétablir la mobilisation des articulations et la synergie musculaire, Amar utilise son cyclo-ergomètre dont il modifie la position du pédalier en fonction de l'articulation en cause. Pour le membre supérieur, les mouvements de flexion/extension du coude sont réalisés avec une varlope dynamométrique (fig.3). 

Pour les muscles de la main, il a recours à un chirographe et à une poire dynamométrique. Les progrès sont suivis sur des enregistrements de pression aux points de contact, enregistrés sur le noir de fumée d'un cylindre de Marey, et comparés au côté sain. Le contrôle de la rééducation de la marche avec prothèse se fait sur un trottoir dynamométrique qui enregistre les pressions aux points de contact avec le sol (fig.4). Le coût énergétique de la marche est apprécié classiquement à partir des échanges respiratoires. 

La dernière étape pour Amar, et la principale, réside dans le retour du blessé au travail, ce qui suppose une rééducation professionnelle. Il organise pour cela des ateliers fictifs, dans lesquels un mutilé est muni d'un bras artificiel, maintenant à son extrémité une lame de métal sur une enclume qui doit être martelée par le bras valide (fig.5) ; il en va de même pour un travail à la lime. Ce bras artificiel permet à un sujet appareillé de jouer du violon ou de taper à la machine. Amar va jusqu'à vérifier la capacité de travail d'ouvriers ayant repris le travail à l'extérieur (marbrier, sculpteur). La somme de son travail en faveur des blessés de guerre est exposée dans l'Organisation physiologique du travail (1917), ouvrage traduit en anglais et réédité aux USA en 1922.

Conclusion

On ne sait pas combien d'individus Amar a remis à un travail professionnel ni avec quel succès.  Aucune statistique n'a été établie après la fin des hostilités, et, en 1920, les préoccupations de ce physiologiste du travail sont devenues d'un autre ordre. Une chose est certaine : la capacité de Jules Amar à développer une recherche appliquée pour répondre à une situation imprévue et urgente tient aux connaissances physiologiques de base qu'il a accumulées et à sa maitrise des impératifs de l'expérimentation scientifique. Jules Amar représente le lien intellectuel hors du temps entre Jules Marey et Henri Laugier et plus tard Camille Soula.

Hugues Monod

 

Illustrations

 Amar 02

Figure 1 : Montage d'une lime dynamométrique. Les forces exercées sont enregistrées à partir de capsules placées aux deux extrémités de la lime.

Amar 03

Figure 2 : Prothèse de bras de Amar. La prothèse placée sur l'épaule est maintenue par des sangles élastiques et des ressorts.

Amar 04

Figure 3 : Varlope dynamométrique. La force et la vitesse des mouvements du coude sont enregistrées au cours de l’entraînement.

Amar 05

Figure 4 : Trottoir dynamométrique. La pression du pied sur le sol est enregistrée par une batterie de capsules.

Amar 06

Figure 5 : Frappe au marteau. Le marteau est relié à un stylet inscripteur par un filin qui fait réflexion sur une poulie située en hauteur. L'amplitude du mouvement et le temps de frappe permettent le calcul du travail réalisé.

Références

AMAR, J. - Rééducation professionnelle des blessé et mutilés de guerre (1915) -Revue de métallurgie, 855-887

AMAR, J. - Organisation physiologique  du Travail (1917) - Dunod et Pinat, Paris, 1 vol. 374 p.

BERT, P. - La machine humaine (1867), Paris, Hachette et Cie, 1 vol. in-16, 53p.

COLAS DES FRANCS. G - L'œuvre de Jules Amar entre 1914 et 1918 (1984) Thèse doct .méd.. Caen, 73p.dact.

MAREY, J-E - La machine animale (1873), - Paris, Germer-Baillière, 1 vol in-8, 288p., 117 fig.

MONOD, H.-  (1994), « Amar, Jules (1879-1935) », in C. Fontanon et A. Grelon (dir.), Les professeurs du Conservatoire national des arts et métiers. Dictionnaire biographique 1794-1955, A-K (p. 97-107). Paris : INRP/CNAM. Collection Histoire 

Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
En savoir plus
General
Général
Gestion des sessions
Accepter
Décliner
Analytics
Outils utilisés pour analyser les données de navigation et mesurer l'efficacité du site internet afin de comprendre son fonctionnement.
Matomo
Logiciel libre et open source de mesure de statistiques web
Accepter
Décliner