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Société de Biomécanique
Les pionniers

« Science qui a pour but d’expliquer, par la physique et la chimie, le plus grand nombre possible des phénomènes vitaux. » C’est ainsi qu’est définie la biomécanique, pour la première fois en langue française, dans le Nouveau Larousse illustré, Dictionnaire universel encyclopédique de 1898. La biomécanique a pour objectif de montrer que nombre de manifestations de la vie obéissent aux lois de la mécanique. Elle applique la science du mouvement et des forces pour décrire et expliquer certains évènements et certaines structures des êtres vivants. La conception mécaniste pour comprendre le vivant naît chez René Descartes au XVIIème siècle. Pour René Descartes, le mécanisme permettrait de comprendre la totalité des phénomènes naturels à partir de principes simples. Le mécanisme est une doctrine matérialiste selon laquelle tout phénomène, fût-il vivant, résulte d’interactions matérielles. L’essor du mécanisme cartésien, à la fin de la Renaissance, a permis le développement de la science classique. Il s’oppose alors au vitalisme, un courant philosophique qui considère que le vivant n’est pas réductible aux lois de la physique et de la chimie. Le vitalisme a notamment été défié par les expériences de Louis Pasteur sur les microbes et la génération spontanée.

Bien que la pensée mécaniste appliquée au monde vivant devint une doctrine après Descartes, elle fut présente chez certains philosophes de l’Antiquité. La conception mécaniste appréhende l’ensemble des phénomènes suivant le principe de causalité, qui affirme que la cause précède l’effet. Pour la biomécanicienne ou le biomécanicien, la causalité implique une dépendance logique due aux lois de la mécanique. Elle ne présuppose pas l’existence d’un dessein de la nature ou de l’humanité. La distinction entre cause et effet, dans le vivant, apparaît dans le papyrus égyptien Edwin Smith, écrit aux environs de 1600 avant JC. Le papyrus Edwin Smith est le plus ancien document chirurgical connu, décrivant des blessures traumatiques et leur traitement. Son texte présente une approche rationnelle, et non magique  ou divine, des symptômes. Ilestpar exemple mentionné qu’un traumatisme cervical peut être la cause d’une tétraplégie. Le choc mécanique dû à une arme de guerre ou une chute, et non une manifestation magique, est à l’origine d’un symptôme. On peut détecter dans ce papyrus l’une des plus anciennes réflexions biomécaniques.

Plusieurs philosophes, puis scientifiques, ont témoigné de leur intérêt pour la biomécanique depuis l’Antiquité jusqu’à la fin de la Renaissance. L’Antiquité est la première période de l’Histoire. Elle succède à la Préhistoire avec le développement de l’écriture, autour de 3500 avant notre ère. Dans les civilisations européenne et méditerranéenne, elle s’achève avec la chute de l’Empire romain d’Occident en 476. C’est durant l’Antiquité dite classique, avec l’essor de la civilisation grecque et de ses philosophes, que l’on peut dénoter les prémices de la biomécanique moderne. Le Moyen Âge succède à l’Antiquité et s’achève avec la Renaissance et les grandes découvertes des explorations maritimes, comme celle du continent américain par Christophe Colomb en 1492. Les idées préconçues sur le Moyen Âge, telle le mythe de la Terre plate, font qu’il est souvent présenté comme une époque d’ignorance et de superstition. Cette perception est notamment liée aux penseurs de la Renaissance et des Lumières qui ont considéré le Moyen Âge comme une longue période de temps obscurs marquée par un déclin culturel et intellectuel, et un obscurantisme clérical. Les innovations médiévales majeures dans les domaines architecturaux, agricoles, artisanaux, et guerriers, annoncent pourtant les prémices de la Renaissance. Une activité intellectuelle intense règne au sein du cléricalisme médiéval. C’est au Moyen Âge que naissent les premières universités d’Orient et d’Occident, où y sont enseignées la théologie, l’étude des textes sacrés, la philosophie, et les sciences. Durant cette période, la « science islamique » s’est épanouie pendant plusieurs siècles dans une vaste zone autour de la mer Méditerranée, dans un large éventail de domaines, en particulier les mathématiques, l'astronomie et la médecine. La médecine européenne s’est inspirée de nombreux textes médicaux rédigés en arabe lors de cet « âge d'or de la civilisation islamique » médiévale (VIIIe-XIIIe siècles) et traduits au cours du XIIe siècle. 

Avec l’invention de l’imprimerie par Gutenberg et la chute de l’Empire byzantin s’achève le Moyen Âge et débute la Renaissance. La diffusion de l’information par l’imprimerie, puis la découverte de continents inconnus, ont profondément modifié la perception du monde par les hommes de cette époque. Le mouvement intellectuel européen de la Renaissance renoue avec celui de l’Antiquité. Originaire d’Italie au XVe siècle, ce mouvement humaniste met l’accent sur l’anthropocentrisme, favorise l’esprit critique et le savoir, et permet de grandes avancées artistiques et scientifiques. La Renaissance n’a pas de fin marquée. Elle débouche sur le Siècle des Lumières, caractérisé par la remise en cause de la monarchie absolue de droit divin, et par la foi dans le progrès et la science expérimentale. Bien que la date de fin de la Renaissance soit sujette à débat parmi les historiens et les philosophes, elle est souvent située au début du XVIIe siècle.

Au cours des différents courants de pensées occidentales, se sont démarqués plusieurs philosophes, médecins, et scientifiques, qui, par leurs écrits, ont relaté des phénomènes biomécaniques. Pourtant, la biomécanique n’est reconnue comme une discipline scientifique à part entière que depuis le XIXème siècle. La raison en est qu’elle requiert un large éventail de connaissances médicales, biologiques, physiologiques, chimiques et physiques. Il n’existe alors pas de « père » ou « mère » stricto sensu pour la biomécanique, au même titre qu’Isaac Newton puisse être qualifié de père de la mécanique classique. On peut considérer, de manière subjective, que la biomécanique est née avec l’essor d’une pensée scientifique rationnelle, née dans la Grèce antique, sous l’impulsion de philosophes et de savants. En particulier, le développement de ce qui deviendra la biomécanique a été amorcé par un intérêt scientifique pour la compréhension du corps humain et de son anatomie. Sous cet angle, l’histoire de la biomécanique peut alors débuter avec Hippocrate.

Préludes biomécaniques de l’Antiquité
Hippocrate, né vers 460 avant J.-C. et mort en 377 avant J.-C., était un médecin et philosophe grec. Il fut précurseur d’une méthode d’observation clinique et d’une analyse logique des maladies, s’opposant à une médecine divine ou sacrée. Pour Hippocrate, les maladies sont causées naturellement, et non par la superstition et les dieux. Hippocrate distingue ainsi la médecine de la religion, pour en faire une profession à part entière. Il est à ce titre traditionnellement reconnu comme le père de la médecine. Faisant preuve de grand respect auprès du patient, il est le concepteur de règles éthiques pour les médecins, à travers le serment d’Hippocrate. Hippocrate était regardé, par le célèbre philosophe Aristote, comme un « grand médecin » dans son ouvrage majeur Politique.

Avec Platon, dont il fut le disciple, Aristote (384-322 avant J.-C.) est l’un des plus influents penseurs du monde occidental. Il a abordé presque tous les champs de connaissance de son époque. Son ouvrage, De Motu Animalium [ISBN : 9782081264229], est un traité majeur sur la biologie. Aristote y énonce les principes généraux de la locomotion animale. Ce traité prélude à l’analyse moderne de la locomotion, par le biais de la biomécanique animale, et établit un lien entre la physiologie, la théorie du mouvement animal, et l’analyse de la locomotion. De motu animalium positionne Aristote au rang de pionnier de la kinésiologie, une discipline qui se penche sur les mouvements et postures du corps, humain ou animal, sous des angles biomécanique, articulaire et musculaire. [https://editions.flammarion.com/le-mouvement-des-animaux-la-locomotion-des-animaux/9782081264229]

La biomécanique appliquée à l’homme n’a pu se développer sans l’essor de la connaissance de l’anatomie humaine. Les premiers grands médecins et anatomistes grecs de l’Antiquité, se fondant en outre sur l’observation pour décrire des corps humains disséqués, cherchèrent à comprendre certains phénomènes naturels par le biais d’explications rationnelles. L’anatomie humaine débute avec Hippocrate, se développe plus largement avec Aristote, et connaît des avancées majeures avec Hérophile et Érasistrate. L’histoire de l’anatomie de l’Antiquité gréco-romaine se termine avec la contribution de Galien, considéré comme le dernier des grands médecins de cette époque.

Le médecin grec Hérophile (vers 325-vers 255 av. J.-C.) différencia les veines des artères du système circulatoire sur la base de l’épaisseur de leurs parois, constatant que les parois des artères sont plus épaisses que celles des veines. Il comprit que le pouls est un phénomène physiologique normal et l’assimila, avec justesse, à la contraction et à la dilatation des artères. Il étudia la variation du pouls avec l’âge et en établit une classification diagnostique. Il ne fit néanmoins pas la relation avec les battements cardiaques. Érasistrate (vers 310-vers 250 av. J.-C.) fut le fondateur de l’école d’Alexandrie de médecine avec Hérophile. Il reconnut le rôle de pompe que joue le cœur au centre du réseau artériel et veineux, et comprit que sa contraction était directement responsable de la dilatation des artères. Érasistrate observa aussi que les contractions de l’œsophage et de l’estomac sont impliquées dans le mouvement des aliments. Il a mis ainsi en évidence le rôle du péristaltisme dans la propulsion de nourriture le long du système digestif. Quatre siècles plus tard, Galien (129-216), médecin grec ayant gagné sa renommée à Rome, procède à des expérimentations sur les animaux, et enrichit les connaissances issues de ses deux aînés anatomistes Hérophile et Érasistrate. Claude Galien a rédigé une somme considérable d’écrits pour y exposer ses larges découvertes anatomiques et physiologiques. Il a fortement contribué à la transmission du savoir du médecin Hippocrate. Il s’appuie sur de solides connaissances anatomiques pour la réduction des luxations et des fractures. Son influence fut telle que le galénisme, fondé sur la théorie des quatre humeurs issue d’Hippocrate, domina la pensée médicale jusqu’à la fin de la Renaissance. Le galénisme prit fin après la publication du traité d’anatomie De humani corporis fabrica, ouvrage fondateur de l’anatomie moderne par le médecin flamand André Vésale (1514-1564), qui corrigea plus de deux cents erreurs de Galien et révolutionna l’anatomie et l’étude du corps humain.

Les fondements anatomiques et physiologiques étaient posés dès le début de l’Antiquité. Le chemin vers la biomécanique se concrétise avec la naissance de la mécanique en la personne d’Archimède (287-212 avant J.-C.). Bien qu’il semble ne pas s’être penché sur la biomécanique, telle qu’elle est définie au début de ce chapitre, Archimède y a probablement fortement contribué par ses découvertes scientifiques majeures. Mathématicien et géomètre de Sicile, alors colonie grecque, il est reconnu comme l’un des principaux scientifiques de l’antiquité classique. Il fut l’un des premiers à mettre les mathématiques au service des phénomènes physiques. Il a fondé l’hydrostatique et la mécanique statique, jetant ainsi les bases pour une biomécanique théorique. Son Traité des corps flottants est le premier ouvrage connu sur l’hydrostatique. Il y décrit en particulier la poussée hydrostatique, qui est maintenant connu comme le principe d’Archimède. Dans son traité Sur l’équilibre des plans, Archimède a également fourni une explication du principe du levier. Le levier est un mécanisme simple, constitué d’une tige rigide actionnée par une force, et pivotant autour d’un point d’appui, pour amplifier un mouvement. Sont notamment concernés en physiologie, les os longs, les muscles squelettiques, et les articulations synoviales. Le levier mécanique forme l’outil théorique de base pour aborder l’étude biomécanique du mouvement.

Sciences médicales et mécaniques dans le monde islamique médiéval
Les sciences arabes se sont largement développées au Moyen Âge, durant l’« âge d’or islamique », dans un contexte culturel et religieux de l’expansion de l’Islam. Les traductions des nombreux ouvrages de la « médecine arabe » ont fortement influencé la médecine médiévale de l’Europe occidentale. Bien que les scientifiques n’étaient pas tous arabes, la plupart des documents ont été rédigés en arabe, d’où cette terminologie trompeuse. Dans un court chapitre mettant en avant quelques pionniers de la biomécanique, on ne peut citer, subjectivement, que quelques scientifiques.

Ibn Sina ou Avicenne (980-1037) était un philosophe et médecin persan. L’une de ses contributions majeures fut le « canon de la médecine » (Qanûn), qui est devenu un manuel de médecine de référence dans de nombreuses universités médiévales du monde islamique et d’Europe jusqu’au XVIIIe siècle. Cet ouvrage considérable a inspiré nombre d’auteurs médicaux médiévaux. Parmi ceux-ci, Ibn Al Nafis (1213-1288) était un médecin et théologien arabe syrien qui a contribué de manière importante aux connaissances hémodynamiques. Il a été le premier à remettre en question la thèse ancienne galénique selon laquelle le sang pouvait passer à travers le septum interventriculaire du cœur. Dans cette optique, il pensait avec justesse que tout le sang qui atteignait le ventricule gauche passait par les poumons. Ibn Al Nafis est ainsi connu pour avoir été le premier à décrire la circulation pulmonaire. Il a également avancé qu’il devait exister de petites communications entre l’artère et la veine pulmonaires, une hypothèse qui a précédé de 400 ans la découverte des capillaires pulmonaires par le médecin et naturaliste italien Marcello Malpighi (1628-1694). Abu Al-Qasim ou Aboulcassis (940-1013), médecin et chirurgien arabe andalou, fut aussi l’auteur d’une œuvre majeure (Al-Tasrif) qui aura des répercussions significatives en Occident durant le Moyen Âge et la Renaissance. Abu Al-Qasim est considéré comme le plus grand chirurgien du Moyen Âge, voire le père de la chirurgie moderne. Dans son ouvrage Al-Tasrif, il expose de nombreuses procédures et outils chirurgicaux, dont certains furent avant-gardistes. Il décrit notamment comment ligaturer des vaisseaux sanguins, technique qui influencera, des siècles plus tard, Ambroise Paré (1510-1590) chirurgien et anatomiste français.

Dans notre contexte biomécanique, outre les avancées médicales, anatomiques et chirurgicales, le monde islamique médiéval s’est aussi marqué par des progrès théoriques en mécanique. Les théories d’Ibn Bajja ou Avempace (1080-1138), relayées par le grand philosophe Averroès musulman andalou (1126-1198), ont inspiré astronomes et physiciens ultérieurs de la civilisation islamique et de l’Europe de la Renaissance, incluant Galilée (1564-1642) [https://doi.org/10.1353%2Fjhi.2004.0004]. Il a proposé que pour chaque force, il existe toujours une force de réaction, proposant ainsi une première version de la troisième loi du mouvement de Newton. Adepte des enseignements d’Avicenne, qui a entre autres affirmé que le mouvement d’un projectile dans le vide ne cesserait pas, Al-Baghdadi ou Baruch ben Malka (1080-1164), philosophe et physicien musulman d’origine juive, s’est aussi penché sur la théorie du mouvement.

Vers la biomécanique comme science à part entière durant la Renaissance italienne
Après les contributions majeures de l’anatomiste Galien de la fin de l’Antiquité et du chirurgien Aboulcassis de la civilisation islamique, il nous faut atteindre l’époque de la Renaissance italienne, pour aller à la rencontre d’un autre précurseur de la biomécanique. Léonard de Vinci (1450-1519), l’illustre créateur toscan de la Joconde, de la Cène, et de l’homme de Vitruve, a également consacré sa vie à la science et à l’ingénierie, et s’est adonné à l’étude du corps humain et à son fonctionnement. Un chapitre est entièrement consacré à son génie dans ce livre. Au contraire de ses prédécesseurs, Léonard de Vinci peut être considéré comme un réel biomécanicien, voire le premier. Il adopta en effet une approche mécanique pour analyser le corps humain. Léonard de Vinci s’est aventuré dans différentes branches de la médecine, incluant ostéologie, les systèmes respiratoire et cardio-vasculaire, les appareils respiratoire et digestif, et le système génito-urinaire. Comme le révèlent ses nombreuses planches anatomiques, il étudia notamment l’action des muscles et la fonction des articulations, et décrivit le squelette et la colonne vertébrale de manière très détaillée. Il a analysé en détail la relation entre les forces musculaires et les fonctions articulaires. Les racines de ce travail anatomique d’envergure se trouvent dans son intérêt artistique pour l’exploration du corps humain et de son fonctionnement.

Outre l’anatomie humaine et ses fonctions, Léonard de Vinci a également étudié la biomécanique animale et le biomimétisme. Il a ainsi tenté de reproduire certaines caractéristiques animales dans des machines. Le principal moyen d’énergie mécanique de l’époque étant le cheval, il a analysé son système musculaire pourconcevoir des machines qui tireraient le meilleur parti des forces appliquées par cet animal. Il a aussi étudié le vol des oiseaux pour trouver un moyen de faire voler les humains. Les contributions de Léonard de Vinci à la biomécanique couvrent un large éventail. Le quinzième chapitre de cet ouvrage lui est consacré.

Dans le même pays, Galilée (1564-1642), originaire de Pise, est essentiellement connu pour ses avancées majeures en astronomie, grâce à la lunette astronomique qu’il perfectionna, et pour ses descriptions relativistes en mécanique classique, avec ce qui deviendra le référentiel galiléen. Sa plus grande contribution est probablement la loi de la chute des corps, qui a ensuite inspiré Isaac Newton pour sa loi universelle de la gravitation. Inspiré par les réflexions du XIIe siècle d’Ibn Bajja, Galilée stipule que dans le vide, tous les corps, indépendamment de leur poids et de leur forme, sont uniformément accélérés, et que la distance parcourue est proportionnelle au carré du temps écoulé. Fort de ses connaissances en mécanique, Galilée se pencha aussi sur quelques sujets biomécaniques. Dans son Discours concernant deux sciences nouvelles, édité en 1638, il utilisa ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie de la résistance des matériaux, et en particulier celle des poutres, pour montrer comment la gravité impose une limite au gigantisme des créatures terrestres. Il y explique que les forces endurées par la structure squelettique ne varient pas proportionnellement à la taille du corps, la résistance des corps très petits étant alors plus grande. À titre d’exemple, il mentionne qu’un petit chien pourrait porter sur son dos deux ou trois chiens de même taille, tandis qu’un cheval ne pourrait supporter un seul cheval. Galilée invente ainsi l’allométrie, discipline qui étudie la relation entre la taille ou le poids d’une partie du corps, avec ceux du corps dans son ensemble. William Harvey (1578-1657), médecin anglais déjà évoqué dans cet ouvrage parmi les pionniers en biomécanique, remit en question les croyances traditionnelles sur le cœur et la circulation, qui remontaient à Galien, 1500 ans auparavant. Sa méthode scientifique rigoureuse permit à Harvey de révolutionner les connaissances sur le système cardiovasculaire. Il a fourni une description complète de la circulation sanguine générale, qu’il fournit dans son ouvrage Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus. Il a recours à une analyse détaillée et quantitative de la structure cardiaque et de sa capacité pulsatile. En conflit avec la version galénique, il démontre, chez l’homme, que le sang veineux ne peut être produit par le foie. Il prouve, par le biais de vivisections animales, que le réseau sanguin forme un système fermé. Il confirma cette observation chez l’humain en utilisant un garrot. Harvey différencia également le rôle des artères et des veines. Ne possédant pas de microscope, il ne put observer les capillaires. Pour Harvey, le sang se diffusait dans la chair, puis était réabsorbé par les veines.

Pour conclure ce panorama subjectif et non exhaustif des grands noms ayant contribué à la naissance et à l’essor de la biomécanique, terminons ce chapitre avec celui qui est perçu par certains comme le père de la biomécanique moderne. On peut considérer que la biomécanique commence voler de ses propres ailes depuis Giovanni Alfonso Borelli (1608-1779), physicien et mathématicien italien, auquel était consacré l’un des premiers chapitres du livret sur les pionniers en biomécanique. Borelli travailla avec Marcello Malpighi, fondateur de l’anatomie microscopique. Ses principales contributions scientifiques sont essentiellement centrées sur ses recherches en biomécanique. Borelli est l’auteur d’une œuvre majeure rédigée en deux parties, De Motu Animalium, qui emprunte son titre au premier grand traité de biologie écrit par Aristote. Dans la lignée du courant philosophique mécaniste de René Descartes, il y établit un lien entre les animaux et les machines, et fait appel aux mathématiques pour étayer ses théories. Il étend ainsi à la physiologie animale et humaine, les méthodes analytiques rigoureuses auparavant établies par Galilée dans le domaine de la mécanique. Il calcule par exemple la force que doivent exercer certains muscles squelettiques pour fournir un effort statique. Il met en évidence que la contraction des muscles induit leur mouvement, et analyse l’action coordonnée des muscles fléchisseurs et extenseurs. Borelli étudie aussi le mouvement de manière approfondie, incluant la nage et le vol de certains animaux, et s’intéresse au système cardiovasculaire. Il compare notamment l’action contractile du cœur à celle d’un piston et explique le rôle capacitif des artères. Celles-ci se distendent et emmagasinent du sang durant la contraction cardiaque, pour le restituer par la suite lorsque le cœur se remplit.


Damien GARCIA
Chercheur INSERM
CREATIS - INSA
Villeurbanne

 

Illustrations

Papyrus mentionnant l’une des plus anciennes réflexions biomécaniques (vers 1600 avant JC)

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Buste d’Hippocrate (vers 460-377 av. J.-C.), musée du Capitole, Rome.

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Buste d’Aristote. Copie romaine d’un original grec de Lysippe (vers 330 av. J.-C.). Ancienne collection Ludovisi.

image pionniers biomec05 455

Hérophile (vers 325-255 av. J.-C.), relief en pierre devant l’entrée principale de la Nouvelle Faculté de Médecine de Paris, de François-Paul Niclausse.

image pionniers biomec06 465

Érasistrate (vers 310-250 av. J.-C.), gravure de Jean-Charles le Vasseur, d’après une peinture de Collin de Vermont.[https://catalogue.wellcomelibrary.org/record=b1180039].

image pionniers biomec07 462

Galien (129-216), gravure de Georg Paul Busch [Karaberopoulos, D., Karamanou, M., & Androutsos, G. (2012). The theriac in antiquity. 
The Lancet, 379(9830), 1942-1943].

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 Archimède (287-212 av. J.-C.). Gauche, par Domenico Fetti, 1620, Musée Alte Meister, Dresde, Allemagne. 

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Archimède - gravure tirée du Mechanics Magazine, publié à Londres en 1824.

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Instruments chirurgicaux dessinés dans l’encyclopédie médicale Al-Tasrif du médecin musulman médiéval Aboulcassis (940-1013).

image pionniers biomec11 429 image pionniers biomec12 474

Avicenne (980-1037) a influencé la médecine musulmane et occidentale jusqu’au XVIe siècle par son ouvrage majeur le Qanûn.

image pionniers biomec13 470

Ibn Al Nafis (1213-1288) [Numan, M. T. (2014). Ibn Al Nafis: his seminal contributions to cardiology. Pediatric cardiology, 35(7), 1088-1090.].

image pionniers biomec14 471 image pionniers biomec15 476

Léonard de Vinci (1452-1519), autoportrait (vers 1515). Cœur et vaisseaux coronaires, vers 1511-1513

image pionniers biomec16 473image pionniers biomec17 466

Galilée (1564-1642), par Justus Sustermans (1636). Extrait de Discorsi e dimostrazioni matematiche (1638) [https://www.pourlascience.fr/sd/biophysique/des-geants-trop-grands-9770.php]

image pionniers biomec18 469 image pionniers biomec19 463image pionniers biomec20 459

William Harvey (1578-1657), gravure de John Hall (1766) d’après une peinture de Cornelius Johnson (1593-1661), British Museum [https://www.britishmuseum.org/collection/object/P_P-3-184]. Couverture et extrait de Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus (1628).

image pionniers biomec21 457 image pionniers biomec22 468 image pionniers biomec23 460

Giovanni Alfonso Borelli (1608-1679). Couverture et extrait de De Motu Animalium (1653).

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