par B. Guignard, lauréat du prix Jean-Vives 2021.
Dans l’approche de la dynamique écologique, la manipulation de contraintes peut influencer l’ensemble des mouvements ordonnés et fonctionnels réalisés par des sportifs. En appliquant cette approche à l’analyse de la natation, plusieurs contraintes telles que la vitesse de nage, ou encore le niveau des résistances subies par les nageurs peuvent permettre d’étudier les adaptations motrices de ces derniers.
Sur Terre, l’augmentation de la vitesse de déplacement entraine inexorablement une transition de la marche vers la course, mais dans l’eau, lors de la motricité du crawl, la densité et la viscosité de l’environnement aquatique ajoutent de la complexité. L’objectif de cette étude est donc de faire un état des lieux de la dynamique des coordinations de nageurs experts en fonction de l’augmentation de la vitesse de nage couplée à une manipulation de leur environnement de nage (utilisation d’un bassin à contre-courant, ou flume par rapport à une piscine classique). Nous émettons l'hypothèse que le flume réduirait les possibilités d'action offertes par l'environnement par rapport à la nage dans une piscine traditionnelle.
Huit nageurs experts ont participé à un test incrémenté en vitesse (augmentation de 4% de 76% à 104% de leur vitesse moyenne sur 200 m crawl) dans une piscine. Puis, ils ont reproduit ce protocole avec un effort similaire dans un flume jusqu’à atteindre leur vitesse maximale. La fréquence de cycle (SR, en Hz) et l’index de coordination (IdC, en % du temps de cycle) entre les deux membres supérieurs ont été calculés à partir de centrales inertielles situées sur les mains, avant-bras et bras et le sacrum. Avec l’augmentation de la vitesse, les valeurs SR ont présenté une augmentation moyenne linéaire plus forte dans la piscine que dans le flume. En moyenne, les valeurs d’IdC ont également augmenté dans la piscine mais sont restées stables dans le flume. Pour les analyses individuelles, les valeurs de SR et d’IdC présentaient une dynamique polynomiale de second ordre avec l’augmentation de la vitesse de progression, indiquant une flexibilité d’adaptation du comportement plus restreinte dans le flume.
1 : positionnement des centrales inertielles sur le nageur ; 2 : découpage des cycles nagés en phases pour calculs de l’IdC et de la SR ; 3 : valeurs moyennes de SR et IdC observées pour l’ensemble des nageurs dans les deux environnements, avec l’augmentation de la vitesse de progression ((*) et (**) Valeurs significativement plus élevées et plus faibles par rapport à la même vitesse en piscine, respectivement ; p < 0,05) ; 4 : un exemple typique d’augmentation des valeurs de SR et IdC pour un nageur dans les deux environnements (piscine en bleu, flume en rouge).
Nous avons donc remarqué que les possibilités d’action (i.e. coordination) étaient fortement limitées dans le flume, notamment aux fortes vitesses, car l’écoulement dynamique du fluide entraînait une discontinuité dans les actions propulsives des membres supérieurs (i.e. coordination en rattrapé). Ces résultats montrent que la flexibilité comportementale était plus limitée dans le flume par rapport à la piscine, dans laquelle ces nageurs ont été capables d’exploiter plus facilement les opportunités d’action offertes par l’environnement (e.g. profitant de la glisse aux faibles vitesses, et enchainant plus rapidement les rotations des membres supérieurs en garantissant une continuité dans les actions propulsives aux vitesses les plus élevées). Notre étude a mis en évidence que le déplacement dans l’eau offre de multiples singularités, et que la nage en piscine n’est qu’une partie de la compétence aquatique nécessaire à un individu pour se déplacer confortablement dans l’eau. L’entraînement en flume serait particulièrement intéressant pour les sports d’eau libre, puisque les nageurs doivent faire face aux contraintes environnantes d’un flux dynamique et turbulent.
Publication
Guignard, B., Rouard, A., Chollet, D., Bonifazi, M., Dalla Vedova, D., Hart, J., & Seifert, L. (2020). Coordination dynamics of upper limbs in swimming: effects of speed and fluid flow manipulation. Research Quarterly for Exercise and Sport, 91(3), 433-444. https://doi.org/10.1080/02701367.2019.1680787
L’auteur
Brice GUIGNARD, Centre d’Études des Transformations des Activités Physiques et Sportives (CETAPS); Université de Rouen Normandie, UNIROUEN, Mont Saint Aignan, France
Brice Guignard est Maître de Conférences au Laboratoire CETAPS et s’intéresse aux comportements moteurs des sportifs, réalisés dans des environnements contraignants. Il convoque le contrôle moteur et la biomécanique pour l’étude de la coordination des nageurs, et est fortement impliqué dans le projet NePTUNE, préparant les Jeux de Paris 2024.
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