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Société de Biomécanique
Les pionniers

 Figuier 01

Histoire de la découverte de la circulation du sang

Un quatorzième article atypique, retranscription d’un chapitre du livre de Louis Figuier, « Notions de Physiologie », publié en 1886… c’est donc un double regard historique, celui d’un vulgarisateur scientifique de grand renom du 19ème siècle, et celui des pionniers en physiologie circulatoire…. 

En cherchant Louis Figuier sur wikipedia, on trouve un très intéressant article (https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Figuier) qui débute par : « Louis Figuier est le vulgarisateur scientifique le plus prolifique du 19e siècle, célèbre par le nombre et la qualité des articles de revues et des ouvrages qu'il a publié de 1848 à 1894. Ayant débuté par une prometteuse carrière scientifique en pharmacie, chimie, physique, celle-ci s'achève par son affrontement avec Claude Bernard en 1854. Après cet échec, il se consacre entièrement à la vulgarisation, inventant même un théâtre scientifique qui n'aura pas le succès escompté… ». 

Nous vous laissons découvrir la suite…

Article de Figuier

« L'organe qui préside à la circulation générale du sang, c'est-à-dire le cœur, étant d'une structure fort simple, n'étant autre chose, en définitive, qu'une machine hydraulique, une pompe aspirante et foulante, qui fonctionne dans l'économie animale, sous l'empire de la vie, on pourrait croire que le mécanisme de la circulation du sang a été connu de très bonne heure par les mé­decins, les anatomistes, les physiologistes, et de très bonne heure expliqué comme nous venons de le faire. Il n'en est rien pourtant. Ce n'est que par une très longue suite d'efforts que l'on est arrivé à comprendre que le sang est en mouvement dans notre corps, et à assigner sa marche précise.

Ce n'est qu'au XVIIème siècle que fut découvert le mécanisme complet de la circulation du sang. Les anciens, on peut le dire, ont absolument méconnu ce phénomène vital. Hippocrate, qui a fait une étude si approfondie, si étonnante, des inductions que l'on doit tirer de l'exploration du pouls dans les maladies, savait assurément que le sang est en mouvement dans les vaisseaux mais il se méprenait sur la nature de ce mouvement. Il croyait que le sang produisait à l'intérieur des veines une espèce de flux et de reflux analogue à celui des flots de l'océan. Il ne soupçonnait pas l'existence des artères ! Aristote lui-même n'a jamais connu les artères. Protagoras, Érasistrate observèrent les premiers les artères chez les animaux mais ils s'imaginèrent qu'elles étaient remplies d'air. 

Il faut se hâter de dire, pour excuser les anciens d'avoir com­mis cette erreur, qu'il était presque impossible de ne pas la commettre, quand on se bornait à examiner les corps des animaux après leur mort. Ouvrez l'artère d'un animal mort, vous n'y trouverez rien : il n'y a pas trace de sang ; il n'y a que des gaz. C'est qu'aux approches de la mort les dernières contrac­tions des artères chassent tout le sang dans les veines, et que le cœur cessant de se contracter, il n'arrive plus de sang dans les artères. On doit donc trouver les artères vides quand on ouvre le corps de l'homme ou d'un animal. Il faut nécessaire­ment inciser une artère sur un animal vivant pour reconnaître que ce vaisseau est parcouru par du sang. C'est ce que Galien fit le premier, et le premier il reconnut que les artères contiennent du sang. Malheureusement, pour expliquer qu'après la mort les artères étaient vides de sang, Galien forgea toute une théorie, qui fut par la suite une cause de grands embarras pour la science. Pour expliquer la présence du sang après la mort dans le ventricule gauche du cœur, Galien supposa qu'il existait dans la cloison interventriculaire du cœur, non pas précisément une perforation, mais une membrane poreuse, d'un tissu assez lâche pour laisser passer du ventricule droit dans le ventricule gauche, comme par une espèce de filtralion, une partie du sang, la par­tie la plus subtile, la plus diffluente. Ce sang, disait Galien, est ensuite distribué dans les artères. 

Galien distinguait parfaitement les artères des veines, quant à leur structure et quant à leurs fonctions. La composition et les usages du sang artériel étaient différents, selon Galien, de ceux du sang veineux. Le sang artériel avait, selon lui, pour fonc­tion de porter partout le mouvement, la chaleur et la vie, et le sang veineux de servir à la nutrition des organes. La doctrine de Galien, parfaitement édifiée, présentait toutes les apparences de la vérité. Cependant elle reposait sur une grande erreur anatomique, à savoir, l'existence d'une communi­cation entre les ventricules droit et gauche du cœur.

Cette erreur resta longtemps accréditée. À l'époque de la Renaissance, Mundini, de Bologne, affirmait encore que la cloi­son interventriculaire est percée. Ce fut Béranger, de Carpi, qui le premier osa élever des doutes sur ce fait. Après lui, l'illustre réformateur de l'anatomie de Galien, André Vésale (Fig.1), de Bruxelles, démontra que l'orifice admis depuis Galien par les anatomistes, dans la cloison interventriculaire du cœur, était pure chimère. Cette observation d'André Vésale était toute une révolution en physiologie ; elle mit promptement sur la voie du mécanisme réel de la circulation.

Il est bien étrange que la première mention du véritable mé­canisme de la circulation du sang, ou du moins de la circulation du sang entre le cœur et le poumon, se trouve contenue dans un ouvrage de théologie. Michel Servet, qui périt victime du fana­tisme religieux de Calvin, a écrit ces quelques lignes, qui résu­ment parfaitement la circulation pulmonaire, ou petite circulation : «La communication, le passage du sang du ventricule droit dans le ventricule gauche du cœur ne se fait pas à travers la cloison interventriculaire, comme on le croit vulgairement, mais, par un long et merveilleux détour, le sang est conduit à travers le poumon, où il est agité, préparé, où il devient jaune, et passe de la veine artérieuse dans l'artère veineuse.»

Ces lignes sont contenues dans un passage de l'ouvrage de Servet, Christianismi Restitutio, passage qui a surtout pour objet de prouver que l'âme humaine réside dans le sang. Il est perdu au milieu d'une foule d'arguments de l'épineuse controverse religieuse que Servet soutenait contre Calvin, et qui fut pour lui si fatale. (….).

Plutôt irrité que confondu par les arguments de Calvin, Michel Servet écrivit contre lui son célèbre ouvrage, Christianismi Restitutio, publié en 1553, dans lequel il attaque le dogme de la Trinité. C'est ce livre qui renferme les passages que nous venons de citer et dans lequel se trouve décrit le phénomène de la cir­culation du sang du cœur au poumon, ou ce qu'on appela plus tard la petite circulation. Le livre de Michel Servet était contraire aux dogmes de la reli­gion protestante, dont Calvin était le chef reconnu. Le fougueux réformateur dénonça Servet qui, à partir de ce moment, devint l'objet des persécutions de tout le monde. Calvin le fit poursuivre juridiquement à Vienne, où il résidait  et tel était le crédit, même hors de France, du chef de la religion réformée, que, sur les dénonciations de Calvin, Michel Servet fut incarcéré à Vienne en 1553. Cependant, grâce à ses amis, il put s'évader de prison, et il s'empressa de quitter la France. Calvin fit instruire à Genève, par contumace, le procès de Mi­chel Servet. Le tribunal de Genève rendit, le 17 juin 1553, une sentence par contumace, qui condamnait Michel Servet à être conduit sur un tombereau, avec ses livres, « en la place de Charnève, et illic bruslé tout vif à petit feu, tellement que son corps soit mis en cendres ».

Ce jugement contumace fut exécuté le même jour. Cinq bal­lots du livre de Servet, c'est-à-dire presque toute l'édition, que l'on avait fait saisir à Vienne, furent brûlés sur la place publique, au lieu et place du condamné. 

Servet prit alors le parti de se retirer à Naples. Il se proposait d'exercer la médecine parmi les Espagnols qui habitaient cette ville. Mais en se rendant en Italie il commit l'imprudence de passer par la Suisse et de traverser Genève. Il ne voulait y demeurer qu'une nuit et s'embarquer, le lendemain matin, sur le lac Léman, pour gagner Zurich. Mais les espions de Calvin avaient annoncé sa présence à Genève. Michel Servet fut arrêté, le 13 août, par ordre du premier syndic. On le dépouilla de l'argent et des objets de valeur qu'il portait avec lui, et on le jeta en prison. Dès le lendemain, on commença la procédure, qui fut conduite sous l'inspiration de Calvin. Les syndics et les conseillers de la ville furent les juges chargés de prononcer dans l'accusation criminelle qui lui fut intentée, comme hérétique. Les magistrats de Genève crurent cependant devoir consulter les cantons protestants. Les cantons de Zurich, Schaffhouse, Bâle et Berne répondirent qu'il était de la plus haute importance de réprimer l'hérésie de Servet (…). Le 27 oc­tobre 1553, Michel Servet fut brûlé vif, comme hérétique. Farel, qui accompagnait et exhortait Servet pendant qu'il marchait au bûcher, ne put jamais obtenir du patient une renonciation for­melle à sa doctrine théologique.  

La bibliothèque nationale de Paris possède un exemplaire du livre de Servet, qui conserve encore la trace des flammes aux­quelles il a échappé. Cet ouvrage, dont il n'a existé longtemps que deux exemplaires, celui de la bibliothèque de Paris et un autre de la bibliothèque de Vienne en Dauphiné, fut réimprimé plus tard à Nuremberg, page par page, sur l'édition originale.

Pour en revenir à la physiologie, ce qui conduisit Michel Servet à la découverte de la circulation du sang du cœur au poumon, c'est le fait, qui avait été annoncé peu de temps  auparavant par André Vésale, de la non-communication du cœur droit au cœur gauche. Puisque, pour passer du ventricule droit du cœur dans le ventricule gauche, le sang ne trouve pas d'ou­verture libre, il est forcé de faire un détour. Il passe dans l'ar­tère pulmonaire (ce que l'on appelait alors la veine artérieuse), traverse les poumons, et revient au cœur gauche, par les veines pulmonaires. Servet était parfaitement au courant des découvertes anatomiques récentes, puisqu'il avait été, avec Vésale, prosecteur d'anatomie de Jean Guinterus, à l'École de Paris.

Dix ans après la mort de Michel Servet, deux professeurs, l'un de l'Université de Padoue, Realdo Colombo, l'autre de l'Univer­sité de Pise, Césalpin, donnèrent la description de la circulation pulmonaire, en des termes à peu près semblables à ceux que l'on trouve dans le livre de Servet. C'est dans l'ouvrage de Cé­salpin que fut prononcé pour la première fois le mot de circulation du sang. Realdo Colombo fit cette découverte sans avoir eu connais­sance du passage du livre de Michel Servet cité plus haut. En effet, ce livre, dont l'édition entière avait été brûlée à Genève, dans un autodafé digne du Moyen âge, était alors entière­ment inconnu, et les communications scientifiques entre les différents pays étaient, d'ailleurs, à cette époque, rares et diffi­ciles.

Quelques auteurs, tels que Isidore Geoffroy Saint-Hilaire et Flourens, ont voulu attribuer à Césalpin non seulement la des­cription de la circulation pulmonaire, mais encore celle de la grande circulation. Les preuves à l'appui de cette opinion nous semblent bien insuffisantes pour enlever à Guillaume Harvey son plus beau titre de gloire. Sur quoi se fonde, en effet, cette revendication? Sur un passage que l'on trouve dans le livre de Césalpin, De Plantis, ouvrage qui ne traite que de botanique et de classification végétale. Voici ce passage, que nous traduisons du latin : « Nous voyons dans les animaux l'aliment être conduit par les veines au cœur, comme à l'officine de la chaleur. Lorsqu'il a reçu sa dernière perfec­tion, il est distribué dans tout le corps par les artères.» Il faut d'abord chercher ce que Césalpin veut dire par le mot aliment. On en trouve la signification dans un autre de ses ou­vrages, qui fut publié à Venise dix ans plus tard, et qui a pour titre : De quaestionum medicarum, etc. Le botaniste de Pise en­tend par aliment ce que l'on entendait de son temps par ce mot, c'est-à-dire le sang venant du foie. Ainsi, de même que Servet, Césalpin savait que l’aliment, ou le sang venant du foie, ne tra­verse pas le cœur, pour passer du ventricule droit dans le ven­tricule gauche ; qu'il ne passe pas, comme l'avait affirmé Galien, par un trou percé dans la cloison interventriculaire, mais qu'il se rend du ventricule droit du cœur, dans les poumons. Realdo Colombo avait déjà déclaré, dans son remarquable ouvrage, De Re anatomica, publié en 1559, c'est-à-dire six ans seulement après la mort de Servet, que la cloison interventriculaire du cœur n'est point perforée, et que, par conséquent, tout le sang du ventricule droit est forcé d'aller traverser les poumons, pour parvenir au ventricule gauche. Césalpin, dans son ouvrage De Planlis, publié en 1583, bien des années après la publication de l'ouvrage de Colombo, décrit incidemment la circulation pulmonaire, en des termes qui ne font qu'exposer la doctrine de Co­lombo, sans y rien ajouter. Disons, toutefois, que Césalpin ne cherche nullement à s'attribuer l'honneur de cette découverte. Realdo Colombo serait donc l'anatomiste à qui reviendrait le grand mérite d'avoir, après Michel Servet, et par l'application de la découverte d'André Yésale, renversé la doctrine de Galien, c'est-à-dire prouvé l'existence du voyage du cœur aux poumons, ou de la petite circulation. 

Du reste, Ambroise Paré, dans un de ses ouvrages publié en 1579, parle de la circulation du sang du cœur aux poumons comme ayant été découverte par Realdo Colombo. 

Cependant ni Michel Servet, ni Realdo Colombo, ni Césalpin, ne soupçonnèrent jamais l'existence de la grande circulation. Césalpin, dit-on, a parlé de la communication des artères avec les veines. Sans doute, mais il a parlé de ce phénomène comme l'avait fait Galien, en ne le considérant que comme un accident qui ne peut se produire que pendant le sommeil. C é s a l p i admet toujours, comme Galien, deux systèmes, veineux et artériel, tota­lement distincts l'un de l'autre, et sans communication entre eux. 

On ne saurait contester à Guillaume Harvey le mérite de la découverte de l'ensemble de la circulation du sang. On savait déjà de son temps qu'il n'existe pas de communication entre le cœur droit et le cœur gauche et que, par conséquent, il faut que le sang fasse un détour, et passe par le poumon, pour arri­ver au cœur gauche ; mais ce fait n'aurait pas suffi pour amener la découverte du véritable mécanisme du cours du sang à travers tout le corps humain. Ce qui contribua à mettre Guillaume Harvey sur la voie véritable, ce fut la belle découverte, faite par son maître, Fabrice d'Aquapendente, des valvules des veines. Le célèbre professeur d'anatomie de Padoue découvrit, en 1574, l'existence de valvules dans les veines des membres inférieurs. Il remarqua très bien que ces valvules, ou soupapes, s'ouvrent du côté du cœur, et par conséquent, s'opposent au retour du sang vers les parties inférieures. Le livre de Fabrice d'Aquapendente, intitulé De venarum ostiolis, parut en 1603. La découverte des valvules des veines aurait dû mettre Fabrice d'Aquapendente sur la voie du grand phénomène de la circulation générale du sang. Fabrice constata le fait anatomique, mais il ne sut en tirer aucune conséquence pour la physiologie. Cette gloire était réservée à son élève Guillaume Harvey. 

Né à Folkstone, le 1er avril 1578, Guillaume (William) Harvey s'était adonné, dès sa sortie de l'Université de Cambridge, à l'étude des sciences naturelles. Suivant la coutume excellente des savants de cette époque, il avait employé sa jeunesse à par­courir les pays où la science jetait le plus d'éclat. Il avait successivement visité la France et l'Allemagne. Fabrice d'Aquapendente illustrait alors l'Université de Padoue par son enseignement et par ses travaux. Harvey se rendit à Padoue, en 1602, pour suivre les leçons de Fabrice d'Aquapendente. Ce fut certainement pour développer les conséquences de la décou­verte de Fabrice, c'est-à-dire des valvules veineuses, qu'Harvey s'adonna, à son retour en Angleterre, à l'étude approfondie de la circulation du sang. C'est de 1613 à 1615 que Guillaume Harvey fit les nombreuses dissections d'animaux qui le conduisirent à sa découverte de la grande circulation du sang. Au mois d'avril 1615, il consigna par écrit, pour la première fois, ses idées sur cet important phéno­mène organique. Tel fut le sujet de la lecture publique que Guillaume Harvey fut invité à faire devant les professeurs du Collège royal de Londres. 

Le roi Charles Ier voulut entendre de la bouche de Har­vey l'exposition de sa découverte. (…). Il y avait à la cour de Charles Ier, un jeune gentilhomme, le vicomte de Montgomery, qui, à la suite d'une blessure, avait eu les côtes gauches emportées, de sorte que l'on pouvait voir son cœur à nu et en sentir les mouvements en posant la main sur sa poitrine. Harvey profita, dit-on, de l'état du gentilhomme pour étudier les mouvements du cœur. 

On a prétendu que Charles Ier autorisa son médecin à faire sur un criminel condamné à mourir, la démonstration de la cir­culation du sang. Cette anecdote a servi de sujet à un tableau peint par Fichel, en 1850, qui se voit dans le vestibule de l'Aca­démie de médecine de Paris.

Les collègues de Harvey, c'est-à-dire les médecins du Collège royal de Londres, accueillirent avec beaucoup de chaleur la doctrine de la circulation du sang, et pressaient l'auteur de consigner sa découverte dans un ouvrage. Charles Ierexprimait le même désir. Mais Harvey résista à toutes les instances qui lui furent adressées de livrer immédiatement sa découverte à la publicité. Il eut le courage, avant de rien publier sur ses tra­vaux, de passer quatorze années consécutives à répéter patiemment ses expériences, à étudier le problème sous toutes ses faces, enfin à se poser à lui-même et à résoudre toutes sortes d’objections. 

Lorsqu'il crut avoir donné à sa découverte toute l'étendue dé­sirable, il la consigna dans un livre, chef-d'œuvre de style et de clarté, qui fut imprimé à Francfort en 1629, qui a pour titre: De motu cordis et sanguinis circulatione, et qui contient la démonstration du mécanisme complet de la circulation du sang. 

Harvey expose, dans ce livre, les nombreuses expériences qu'il a faites sur les animaux de toutes les classes, et il établit que dans la contraction du cœur il y a trois faits à distinguer: 1°le cœur se contracte, de façon à diminuer dans son diamètre trans­versal et à augmenter dans son diamètre vertical ; 

2° pendant sa contraction, les fibres du cœur se resserrent, et cet organe donne à la main appliquée sur la poitrine, la sensation d'un corps dur ; 3° le cœur s'élève et vient frapper de sa pointe les parois de la poitrine : c'est ce qui fait sentir le battement au dehors. Harvey démontre ensuite que le phénomène du pouls est dû à la dilatation des artères, par l'effet de l'impulsion du sang, lancé par la contraction du ventricule gauche du cœur, et que le pouls suit le rythme des contractions de cet organe. « On a, dit- il, la preuve de cette concordance, lorsque l'on ouvre une artère, car l'on voit le jet de sang se produire en même temps que chaque contraction du cœur. » Il prouve aussi que dans la contraction du cœur ce sont les oreillettes qui se contractent les premières. Les oreillettes en­voient dans le ventricule correspondant, le sang qui les remplit,  et le ventricule, à son tour, lance le flot sanguin dans les vaisseaux. « J'ai la confiance, écrit Harvey, d'avoir trouvé que le, mouvement du cœur se fait de cette manière : d'abord l'oreillette droite se contracte, et dans sa contraction elle lance dans le ventricule droit le sang dont elle abonde, comme étant la tête et la citerne du sang. Le ventricule étant rempli, le cœur en s'èlevant tend aussitôt tous les muscles, contracte les ventricules et produit le pouls, par lequel le sang, continuellement envoyé de l'oreillette, est poussé dans les artères. Le ventricule droit le pousse vers les poumons, par ce vaisseau qui est appelé veine artérieuse, mais qui réellement, par sa structure et tout son office, est une artère ; le ven­tricule gauche pousse le sang dans l'aorte, et de là, par les artères, dans tout le corps. ».

Harvey fait remarquer que lorsqu'on lie une veine et qu'on l'ouvre au-dessous de la ligature, on voit échapper un flot de sang. Si, au contraire, on ouvre la veine au-dessus du point oblitéré, on la trouve vide de sang. Harvey déclare que la fonction des valvules des veines n'est pas, comme l'a dit Fabrice d'Aquapendente, d'empêcher l'arrivée d'une trop grande quantité de sang, qui pourrait distendre les vaisseaux, mais d'empêcher le retour du sang vers les parties qu'il a abandonnées. Il déclare que le cœur n'est pas  un organe  d’aspiration, mais  un organe de propulsion, un muscle creux, lequel, en se contractant, envoie sans cesse, et avec une très grande rapidité, le sang dans les artères. Le même sang revient ensuite au cœur, par les veines. Reproduisant la belle image d'Aristote, il compare le sang à l'eau qui circule éternellement entre le ciel et la terre. « L'eau, dit Harvey, tombe sous la forme de pluie, pour féconder la terre, puis les rayons du soleil la ramènent dans l'atmosphère sous forme de va­peur; elle s'y condense, et elle retombe de nouveau. De même le sang, chassé par le cœur dans les artères, porte partout la chaleur et la vie ; puis, vicié et refroidi, il retourne vers le cœur, qui le renvoie de nouveau vers les organes d'où il était parti. » 

Les faits annoncés par Harvey étaient si nets, établis sur de si nombreuses preuves, qu'il semble que cette belle conquête de l'esprit humain aurait dû rallier immédiatement tous les suf­frages et toute l'admiration de ses contemporains. Il en fut tout autrement. Cette découverte était si inattendue, elle choquait si manifestement toutes les notions reçues, qu'elle rencontra une résistance universelle. Presque tous les anatomistes, et parmi eux le plus célèbre, Riolan, que l'on nommait le Prince des anatomistes, attaquèrent avec violence la découverte de Harvey. On ne craignait pas de la traiter de fausse et d'absurde. Le successeur de Riolan au décanat de la Faculté de médecine de Paris, Guy Patin, ne laissait échapper aucune occasion de décocher quelque trait de son esprit mordant contre l'inventeur de la circulation du sang. On aime à vanter, comme très spiri­tuelles, les boutades de Guy Patin contre les partisans de la circulation. Quant à nous, elles nous ont toujours paru froides et sans portée. L'esprit ne peut briller là où manque la vérité, car l'esprit n'est que la gaieté du bon sens. 

S'il est vrai qu'en France le ridicule soit une arme redoutable, il est vrai aussi que le trait qui tombe à faux, ricoche et vient frapper le plaisant mal inspiré. Guy Patin, en voulant tourner en ridicule la nouvelle découverte, ne fit que prêter à rire à ses dépens. C'est Guy Patin que Molière a dépeint, dans son Malade imaginaire, sous les traits de Diafoirus. « Ce qui me plaît en lui, dit Diafoirus en parlant de son fils Thomas, et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang et autres opinions de même farine ! ». 

En nous dépeignant Guy Patin sous les traits de Diafoirus, Molière a suffisamment vengé Guillaume Harvey des injustes attaques du satirique doyen de la Faculté de Paris.

Aujourd'hui, la gloire de Harvey rayonne sans aucun nuage ; on ne lui dispute pas la juste admiration que méritent sa persé­vérance et son génie. On a d'ailleurs ajouté dans notre siècle peu de chose à ses découvertes. 

Guillaume Harvey mourut à Londres, le 3 juin 1657. Le Col­lège royal des médecins de Londres lui fit élever une statue de marbre, dans la salle des actes. C'était un juste hommage rendu par ses contemporains à l'observateur et au savant qui avait opéré une révolution dans la physiologie générale. »

L’ouvrage de Louis Figuier « Notions de Physiologie » m’a été offert par mon directeur de thèse, Francis Goubel, lorsque j’obtins le premier prix de la Société de Biomécanique décerné en 1981. Depuis qu’avec Simon Bouisset je travaille à ce livret « Pionniers en Biomécanique », j’avais en tête de retranscrire cet article. La brutale disparition de Simon en mai dernier nous a laissés désemparés et c’est en pensant fortement à lui que je me suis attelée à cette retranscription.

Je laisse Valérie Deplano terminer ce chapitre en y ajoutant le regard d’un spécialiste du domaine de nos jours…

Chantal Pérot, Professeur Émérite
UMR CNRS 7338 - UTC - Compiègne

novembre 2019 

  

Postface

En laissant Louis Figuier nous conter la découverte de la circulation sanguine, Chantal Pérot nous fait (re)découvrir les écrits d’un grand vulgarisateur de l’histoire des sciences. Elle nous fait également prendre conscience de l’importance capitale des travaux de William Harvey, rompant avec plusieurs siècles de théories erronées sur le système circulatoire. Les disciples de Galien pensaient ainsi jusqu’au XVIIe siècle que les ventricules gauche et droit du cœur communiquaient directement ! En cela, et c’est le titre de ce livret, Harvey est un véritable « pionnier » de la biomécanique, très tôt reconnu en tant que tel par certains de ses contemporains, comme Descartes dans son Discours de la méthode.

La postérité scientifique de ses découvertes a été féconde. Une fois découvert le mécanisme général de la circulation sanguine, l’invention du microscope permettra à Malpighi de mettre en évidence l’existence de capillaires sanguins en 1661, ou encore à van Leeuwenoek d’observer en 1674 les premiers globules rouges. Progressivement, la connaissance du système circulatoire s’est faite de plus en plus fine.

Les chercheurs tentent aujourd’hui encore d’améliorer notre compréhension de la circulation sanguine et des pathologies qui lui sont associées. Les travaux sont menés à l’échelle cellulaire, moléculaire, voire génétique et des modèles multi physiques sont mis en œuvre. Les avancées de l’imagerie médicale quantitative comme outils in vivo d’exploration non invasifs ouvrent maintenant la voie à l’optimisation de modélisations biomécaniques de plus en proches de la réalité physiopathologie.

Si l’on devait retenir un apport majeur de la démarche d’Harvey, ce serait l’importance jouée par l’expérimentation dans ses découvertes. En Angleterre, se tient d’ailleurs chaque année au Royal College of Physicians une Harveian Oration, instaurée par Harvey lui-même en 1656. Il s’agit d’une leçon solennelle invitant les membres du Collège à élucider « les secrets de la nature par le biais de l’expérience ». 

C’est du reste ce que nous nous efforçons de faire chaque jour, avec des moyens scientifiques désormais bien plus puissants et précis. Cela explique également le dialogue constant entretenu entre chercheurs et cliniciens, tant en amont de la recherche, qu’en aval lorsqu’il s’agit de développer des applications concrètes de nouvelles découvertes, au service des patients. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la recherche translationnelle.

Post face écrite par Quentin PAUL, Sciences Po Paris & Valérie DEPLANO, IRPHE Marseille.

 

Illustrations

Figuier 02

Figure 1 : André Vésale

 

Figuier 03

 Figure 2 : Michel Servet

 

Figuier 04

 Figure 3 : Supplice de Michel Servet, brûlé vif à Genève, le 27 octobre 1553.

 

Figuier 05

 Figure 4 : Harvey montrant à Charles 1er et aux médecins du Collège royal de Londres, le phénomène de la circulation du sang sur une biche vivante.

 

Figuier 06

Figure 5 : Guillaume Harvey

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