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Société de biomécanique
Parole de scientifiques
Jean-Paul Laumond

Jean-Paul Laumond est roboticien, directeur de recherche émérite au CNRS. Il effectue sa carrière au LAAS-CNRS à Toulouse jusqu’en 2019, date à laquelle il rejoint l’équipe Willow du département informatique de l’ENS à Paris (unité mixte 8548 ENS-CNRS-INRIA-PSL). De formation mathématique, sa recherche est dominée par l’algorithmique de la planification de mouvement en robotique, un domaine scientifique dont il a contribué à jeter les bases.

De 2001 à 2003, il crée et dirige la société Kineo CAM qui commercialise ces technologies dans le domaine du prototypage virtuel. La société est acquise par Siemens en 2012. En 2006 il crée le groupe de recherche Gepetto dédié à l’étude des fondements calculatoires de l’action anthropomorphe et co-dirige dans ce cadre le laboratoire franco-japonais JRL sur la robotique humanoïde de 2005 à 2008. De 2014 à 2018, il conduit le projet Actanthrope soutenu par l’European Research Council (ERC). Il est Fellow de l’IEEE. En 2011-2012 il est le titulaire de la chaire Innovation Technologique Liliane Bettencourt du Collège de France. En 2016 il est le lauréat du prix international IEEE Inaba Technical Award for Innovation Leading to Production. Il est membre de l’académie des technologies et membre de l’académie des sciences.

Laboratoire / Ville

Département d’informatique de l’ENS (unité mixte 8548 ENS-CNRS-INRIA-PSL), Paris 

Pouvez-vous nous décrire vos liens avec la biomécanique

Je suis roboticien. De formation mathématique, le thème de recherche qui structure mon activité est la planification et le contrôle de mouvement en robotique, que ce soit pour les robots manipulateurs ou pour les robots mobiles. A partir des années 2000, je me suis intéressé à l’application de ces techniques pour l’animation de mannequins virtuels dans les maquettes numériques et l’animation graphique. En 2006, j’ai créé au LAAS-CNRS l’équipe Gepetto pour étendre ce champ d’application à la robotique humanoïde. Son objectif était de l’étude du mouvement des systèmes anthropomorphes en général. Dès lors les liens avec la biomécanique devenaient naturels. Reste qu’il fallait renforcer la thématique, ce qui fut fait avec l’intégration de Bruno Watier à l’équipe. Le caractère pluridisciplinaire de ces travaux m’a conduit à proposer et mener le projet Actanthrope de 2014 à 2018 soutenu par l’European Research Council (ERC) et dédié à l’étude des fondements calculatoires de l’action anthropomorphe.

Quels sont selon vous les liens principaux de la biomécanique avec votre domaine de recherche ?

Mon approche de la biomécanique s’est faite indirectement via les neurosciences intégratives et la collaboration de recherche que je mène avec Alain Berthoz du Collège de France depuis plus de 15 ans. Il s’agissait à l’origine de proposer des géométries qui rendent compte de la forme des trajectoires locomotrices humaines. C’est ainsi que nous avons pu mettre en évidence une stéréotypie dans les trajectoires locomotrices dirigées vers un but en espace libre (tout le monde marche pareil). L’idée sous-jacente était que la direction corporelle imposée par la locomotion bipède ressemblait fortement à la contrainte de roulement sans glissement à laquelle la robotique mobile m’avait familiarisé. La géométrie non holonome opérait donc chez le marcheur ! Restait à approfondir la mécanique interne de la locomotion. Les travaux que nous menions en robotique humanoïde reposaient pour l’essentiel dans l’exploitation du principe introduit par Miomir Vukobratović à la fin des années 1960 qui consiste, par anticipation, à maintenir le point où s’annule le moment angulaire (observé par des capteurs d’effort ou des centrales inertielles) au-dessus du polygone de sustentation formé par les pieds sur le sol, supposé horizontal et plat. Reste que ce schéma de contrôle ne correspondait pas à mon intuition : quand nous marchons sur un sol plat, nous nous n’anticipons pas l’endroit où nous mettons les pieds. Par ailleurs l’étude neurophysiologique du mouvement humain montre que dans la plupart des tâches de déplacement (marche, course, ski, équitation…), la tête est stabilisée en orientation. L’idée est venue de considérer le rôle de la stabilisation de la tête dans la locomotion. Nous avons alors montré empiriquement, par simulation, que celle-ci contribue bien à la robustesse d’un principe de marche passive, sans anticipation du placement des pieds. Cela nous a conduit à proposer un modèle original de locomotion : le Yoyo-Man. Dans cette perspective, nous avons en particulier montré que la trajectoire du centre de masse d’un marcheur sur sol plat suit une trochoïde (courbe suivie par un point à l’intérieur d’un disque roulant), ce qui ramène au modèle non holonome.

Auriez-vous une définition de la biomécanique ?

La mécanique de la vie, non ? C’est en tout cas ma vision. Le mouvement est constitutif de la vie. C’est lui qui distingue l’animé de l’inanimé, du végétal de l’animal. Une analogie peut être faite avec les objets techniques : un outil est inanimé tandis qu’une machine est productrice de mouvement. Dans les machines, on peut distinguer le robot manipulateur qui bouge mais ne se déplace pas (une machine-plante) du robot mobile qui se déplace (une machine-animal). Manipulation et déplacement sont les deux grandes fonctions qui nous permettent d’agir sur le monde physique. Il en est de même pour les robots. Par ailleurs, un des grands problèmes de la robotique est d’assurer le contrôle du mouvement de machines complexes, leur complexité étant évaluée par la dimension de l’espace de leurs degrés de liberté. On retrouve ici le concept de synergies motrices propre à la biomécanique qui tendent à réduire la dimension de l’espace des contrôles.

Quelle serait pour vous la formation idéale d’un biomécanicien ?

Il s’agirait de lui fournir de solides bases en matière de mathématique et de mécanique classique. L’algèbre linéaire et l’étude des systèmes dynamiques me semblent devoir être un prérequis indispensable. Ma vision est sans doute biaisée par mon intérêt pour la discipline. Mais j’ai bien l’impression que dans des domaines beaucoup plus éloignés comme l’étude du flux sanguin, l’étude de la mécanique des fluides et des mathématiques associées, comme les équations aux dérivées partielles, sont formatrices.

Quelle est selon vous la découverte marquante des 20 dernières années à la frontière de la biomécanique et de la robotique et les défis actuels et futurs ?

Je ne suis pas certain d’avoir une vue globale des contributions dans ce domaine aux frontières des deux disciplines. Je pense que les études que nous menons autour de l’idée du Yoyo-Man ouvrent des perspectives de recherche inattendues : l’homme qui marche est un système qui roule. Au-delà des synergies motrices déjà évoquées, l’idée peut permettre une conception radicalement nouvelle du contrôle moteur pour les robots humanoïdes. Appliquée à l’humain, cette idée permet de mieux comprendre les mécanismes de la locomotion. 

Avez-vous une anecdote particulière ?

Il y a quelques années, un étudiant a fait fumer le robot humanoïde HRP2 au LAAS-CNRS. Fumer au sens propre : de la fumée sortait des pieds du robot. Le logiciel qu’il testait comportait une erreur grossière de modèle : il essayait de faire varier la position du centre de pression de manière quasi-statique, en négligeant les forces de frottement ! Ça aurait peut-être marché sur de la glace mais pas sur le sol du laboratoire. Il a fallu changer deux moteurs, ce qui est somme toute plus simple qu’attendre les effets d’une rééducation après une entorse. 

Un mot de conclusion ?

Je ne suis pas certain qu’en robotique il faille à tout prix imiter le vivant. En revanche, il est clair que nombre de techniques que nous mettons en place sont familières aux biomécaniciens. Développer une recherche pluridisciplinaire, comme ça a été le cas dans le projet Actanthrope que j’évoquais, conduit clairement à un bénéfice mutuel partagé par les deux disciplines. Reste que chacun doit garder son métier et ses propres objectifs.

 Propos recueillis par B. Watier et S. Laporte 

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