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Société de biomécanique
Parole de scientifiques
Jean-Benoit Morin

Je suis professeur au LIBM (Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité) et je suis directeur du département STAPS à Saint-Etienne. C'est ici que j'ai fait ma thèse et la plupart de mon début de carrière. Mes thématiques de recherche sont essentiellement centrées autour du sprint, soit sur le versant performance, c'est à dire expliquer comment être bon lors de l'accélération ou lors du sprint, soit sur le versant blessures, c'est à dire expliquer les mécanismes des lésions musculaires lorsqu'on pratique le sprint et comment on peut essayer de réduire ce risque de blessure.

C’est un travail que je mène avec à la fois en équipe au sein du LIBM, mais aussi avec des collègues à l'étranger. J’enseigne à l’Université dans les filières entraînement et préparation physique. En plus de cette activité, j'ai une activité de consultance, soit avec des staffs d'équipes ou des fédérations. Je suis, par exemple, référent à la Fédération de tennis sur les aspects de développement de l'efficacité du déplacement à très haute intensité en tennis. J'aide donc à la fois les staffs à comprendre ce qui se passe du côté recherche et à appliquer les méthodes qui sont développées en recherche. J'ai également une forme de consultance avec des athlètes, soit pour de l'évaluation, soit pour des conseils de développement.

 

Laboratoire / Ville / Pays

Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité, UR 7424, Saint-Etienne, France

Par quel biais avez-vous été amené à vous intéresser à la biomécanique ? Quelle a été votre première expérience en lien avec la biomécanique ?

J’ai été amené à m'intéresser à la biomécanique d'abord en questionnant ma propre pratique. Quand j'étais, étudiant en STAPS en deuxième, troisième année, je faisais du 400 mètres haie à un bon niveau et j'ai été amené à essayer de comprendre comment s'entraîner pour améliorer mes performances. Il y avait le versant physio et il y avait aussi beaucoup le versant technique et donc biomécanique. Ma première grosse expérience était plutôt en physiologie qu’en biomécanique. J'ai fait un stage dans une unité d'évaluation fonctionnelle à Besançon. Et là, je me suis dit « Waouh ! C'est ça que je veux faire !» parce qu'on était en train d'évaluer les athlètes et on était en train d'essayer de comprendre comment fonctionnait leur corps. Ça a été ça un peu le déclic. Plus tard pour la biomécanique, j'ai été directement influencé par deux personnes que j'ai eues en cours, en licence et en master à Besançon. Le premier, c'est Alain Belli, qui est maintenant au LIBM à Saint Etienne et que j'avais en cours théorique sur la biomécanique. Je trouvais cette matière hyper intéressante et je trouvais que c’était très connecté à la performance sportive. Le deuxième, c'est Frédéric Grappe, qui lui était beaucoup plus orienté labo et terrain. Les premières études que j'ai faites avec lui consistaient à quantifier la friction globale du cycliste sur route avec des systèmes de mesure de la décélération où on quantifiait de façon macroscopique tous les frottements et toutes les résistances à l'avancement du cycliste. Et là, je me suis dit « on est en train de faire le transfert de la biomécanique du labo au terrain et d’essayer de mesurer des choses qu’on ne peut pas mesurer par ailleurs ». Donc je pense que ces deux personnes ont eu beaucoup d'influence sur moi.

Auriez-vous une définition de la biomécanique ?

Je vais avoir une définition assez classique. Pour moi, c'est l'utilisation et l'application des lois de la mécanique et notamment des lois du mouvement à la gestuelle humaine et aux gestes sportifs. Pour moi il y a deux branches : l'aspect laboratoire et l'aspect terrain. C'est à dire qu'on étudie le mouvement et la performance sportive, et on va essayer de capturer les forces, les moments, les impulsions, les déplacements, les accélérations sur le mouvement étudié.

Quels sont selon vous les liens principaux entre la biomécanique et votre domaine de recherche ?

Le lien principal, pour moi, c'est un lien d'explication. Par exemple, ça paraît simple de courir ou de courir vite ou de se déplacer sur un terrain de sport alors que c'est extrêmement complexe. La biomécanique nous aide à objectiver les choses pour les comprendre. Un autre exemple : une de nos thématiques actuelles porte sur les lésions aux ischio-jambiers. Pour mieux comprendre ces mécanismes de lésions on est obligé se s’appuyer sur l’étude des forces, des contraintes sur ces tissus. La biomécanique vient nous aider à nouveau.

Quelle est selon vous la découverte marquante des 30 dernières années à la frontière de la biomécanique et du sport qui vous a le plus apporté ?

Clairement, pour moi, c'est l'aspect portable des choses. Portable, ça veut dire qu'ils peuvent être portés pendant la pratique sportive in situ. Quand j'ai commencé mes études dans un labo en 2000, on n'avait très peu d'outils portables. Il y avait uniquement les cardio fréquence mètres. Donc, on était complètement dépendants du contexte du labo et on était complètement dépendant des câbles. Ça paraît bête, mais si tu veux étudier quelqu'un qui sprinte, il faut que tu étudies un corps qui fait 10 mètres en une seconde. J'ai fait des études où on suivait les gens en moto avec des câbles. J'ajoute aussi l'aspect vidéo, c'est à dire le fait de pouvoir enregistrer des vidéos à relativement haute fréquence pour analyser la gestuelle, c'est pareil, c'est très récent. L'aspect portable de ces 20 dernières années, le simple fait de pouvoir enregistrer des données à la volée sur un sportif, aujourd'hui, ça paraît évident, mais c'est très récent. C'est pour moi le grand changement.

Quelle sera selon vous la contribution de la biomécanique à la performance sportive dans le futur ?

Je pense que l’étape d'après c'est « de rentrer à l'intérieur du corps », on est peut-être dans le futur très lointain mais pas tant que ça. A l'heure actuelle des travaux sortis en 2018 ont quantifié des tensions musculaires avec des capteurs qui sont sur la peau. On est déjà rentré à l'intérieur du corps avec des expériences chirurgicales, avec des boucles de capteurs placés sur des tendons. La physiologie l’a déjà fait en faisant rentrer des capteurs de température ou de pH dans le corps. Pour moi la prochaine frontière c'est d'aller étudier la musculature, les articulations, le comportement du sportif de l'intérieur. C'est peut-être le futur dans 50 ans mais il sera probablement sous la peau.

Avez-vous une anecdote particulière ?

J'ai une anecdote qui résume la discussion qu'on vient d'avoir. En 2002, donc il y a 20 ans, on a fait la première étude où on a essayé de quantifier les temps de contact, les temps de vol et d’autres paramètres mécaniques de la foulée en sprint. Le problème est qu'à l'époque on avait des capteurs de pression dans la chaussure qui étaient reliés par un câble à un ordinateur qui était dans un sac à dos et qui fonctionnait sous DOS. Du coup, pour suivre un sprinter, on s'est aperçu que la voiture ce n'était pas possible sur un stade, le vélo ça ne marchait pas parce que pendant 30 mètres le sprinteur a beaucoup d'avance sur le vélo. Donc, on a pris une moto et on avait un jeune étudiant qui s’est entrainé à reproduire la cinétique de l'accélération du sprint et ça marchait parfaitement. Le problème est que pour aller sur un stade avec une moto en France il faut des autorisations. Donc, on avait demandé les autorisations à la mairie, tout allait bien… Au premier sprint, on s'aperçoit au départ que le pilote fait glisser les roues sur la piste et qu'il fait une toute petite trace noire sur le stade. Là, on s'est dit « ça va être compliqué ». Donc on met des planches, on couvre le stade, on prépare tout. Et là, il y a un sprint où il a vraiment accéléré trop fort, les planches ont sauté et ça a fait une trace noire sur le stade. C'est une étude qui a laissé des traces ! Le stade était vraiment abîmé. Tout le monde nous avait vu avec la moto. Et donc, on est allé chercher des produits pour nettoyer le tartan et pour enlever la trace noire. Sauf qu’en nettoyant on a fait une trace blanche, très belle, très nette. Et là, on était coincé parce qu'on n'avait plus de solution. Ça résume un peu le fait que parfois, quand on fait des manips de terrain, il faut utiliser des moyens conséquents.

Un mot de conclusion ?

Le mot de de conclusion est qu’on est à peu près à un siècle des travaux de Archibald Hill sur le sprint qui est considéré partout dans le monde comme un physiologiste. A l'avenir, j'espère que ce sera une vision plus intégrative des choses où on essayera de mixer un peu les mondes de la biomécanique et de la physiologie. Parce que lorsque Archibald Hill fait ses premiers travaux sur la mécanique du sprint, il calcule des énergies et il publie ses travaux dans le Journal of Applied Physiology. Si on s'intéresse aux mouvements humains ou à la performance sportive, j’aimerais qu’on essaye de ne pas trop cloisonner les choses entre « C'est de la biomécanique et donc si je suis physiologiste, ça ne m'intéresse pas » ou inversement. Le muscle et l'humain ne se préoccupent pas de ces distinctions. C'est de l'intégratif qu’il nous faut.

 

Propos recueillis par Y. Blache

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