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Société de biomécanique
Parole de scientifiques

Wafa Skalli est ingénieure Arts et Métiers et docteur en biomécanique. Sa carrière universitaire s’est déroulée essentiellement à l’ENSAM, où elle a été fondatrice de l’Institut de Biomécanique Humaine Georges Charpak, lieu de convergence entre cliniciens, chercheurs et industriels. Elle a été titulaire de la chaire ParisTech BiomecAM en modélisation musculo-squelettique personnalisée. Co-inventrice du système EOS de radiographie biplane à basse dose d’irradiation, en collaboration avec les Professeurs Jean Dubousset et Georges Charpak (prix Nobel de physique 1992), elle a été nommée membre libre de l’Académie Nationale de Chirurgie.

Wafa Skalli est co-auteur de plus de 360 publications scientifiques et de 13 brevets, avec un H-index de 52. Elle est co-fondatrice de la société SKAIROS, visant à porter vers la clinique les jumeaux numériques du rachis pour l’aide à la conception d’implants et à la planification de chirurgie, et du fonds de recherche en biomécanique clinique du rachis / Research fund for Clinical Biomechanics of the spine (CBS).

 

Laboratoire / Entreprise / Ville / Pays

Fonds de recherche en Biomécanique clinique du rachis / Research fund on clinical biomechanics of the spine (CBS), Paris, France.

Par quel biais avez-vous été amenée à vous intéresser à la biomécanique ? Quelle a été votre première expérience en lien avec la biomécanique ?

J’étais en dernière année d’études à l’ENSAM, commune avec un DEA de mécanique. Plusieurs projets de fin d’études/DEA étaient proposés en biomécanique, mais ils étaient très demandés et je n’avais pas pu en obtenir un… J’ai réalisé mon mémoire sur le maillage automatique des structures, et postulé pour faire une thèse en biomécanique avec François Lavaste, et cette fois l’aventure était lancée ! Ma première expérience, portant sur la modélisation en éléments finis du rachis lombaire a été très riche car d’emblée elle a été basée sur ce trépied essentiel en biomécanique : mener en parallèle modélisation numérique et expérimentation pour la validation des modèles, dans le cadre d’une relation étroite avec la clinique. Cette approche, observer, mesurer, modéliser, en lien étroit avec la clinique, a été présente dans toute ma carrière.

Auriez-vous une définition de la biomécanique ?

Selon le Larousse, la Biomécanique est l'application des lois de la mécanique aux problèmes de biologie, de physiologie et de médecine : autrement dit la mécanique du vivant.
C’est une définition très large, du fait de la diversité du vivant et de la biologie, d’autant que les analyses biomécaniques et la modélisation des systèmes d’intérêt peut se faire depuis l’échelle de la cellule (ou même subcellulaire), du tissu, d’un système, de l’organe ou du corps humain ou animal dans sa globalité (ou d’un végétal, plante, arbre, …).
C’est aussi une définition assez restreinte, car il ne s’agit pas uniquement d’appliquer les lois de la mécanique : il est souvent indispensable de faire appel à de nombreuses disciplines connexes telles que l’imagerie médicale, les mathématiques appliquées, la physique, l’informatique, l’instrumentation , la robotique, l’intelligence artificielle, … et dans le domaine médical, la rééducation fonctionnelle, la chirurgie, la physiologie, … nous retrouvons cette diversité dans les congrès de Biomécanique !
Si j’abandonne l’idée d’une définition complète et précise, je dirais qu’au cours de ma carrière, je me suis orientée vers la biomécanique clinique, qui a pour objectif de contribuer à la prévention, à la prise en charge thérapeutique et à l’évaluation des traitements.
Même en restreignant au système musculo-squelettique, et en particulier au rachis, il s’agit d’un vaste programme ! dans ce domaine, la qualité du dialogue avec les cliniciens est essentielle. En effet le mécanicien tout seul est démuni, ou peut se perdre dans des considérations très théoriques éloignées de la réalité du patient ou de la pathologie à laquelle il s’intéresse. C’est la complémentarité entre les deux mondes, l’écoute et les échanges, qui enrichissent la pensée et permettent de réfléchir ensemble et d’élaborer des programmes de recherche en prise avec les besoins réels.
Dans ce domaine de la biomécanique clinique, on parle beaucoup de la recherche translationnelle « from bench to bedside » (de la paillasse au lit du patient). Je trouve passionnant le continuum entre recherche fondamentale qui vise à comprendre les mécanismes qui régissent fonctionnement normal ainsi que les mécanismes de dégradation et de restauration, et un volet très orienté vers la clinique, qui vise concrètement à rechercher des solutions innovantes.
Quels sont les éléments que la biomécanique pourrait vous apporter dans vos recherches à plus ou moins long terme ?
Malgré près de 40 ans de recherches en biomécanique du rachis, la chirurgie des grandes déformations représente encore un grand défi, qu’il s’agisse par exemple d’adolescents présentant des scolioses sévères ou de sujets âgés pour lesquels le taux de complications mécaniques avoisine 40%. La planification de la stratégie chirurgicale basée sur une modélisation biomécanique personnalisée devrait apporter une réduction drastique de ce taux de complications. Il s’agit d’une modélisation particulièrement complexe, qui demande des recherches pluridisciplinaires intensives, mais le défi en vaut la peine !

Quelle est selon vous la découverte marquante des 30 dernières années de la biomécanique qui vous a le plus apporté ?

Les lois de la mécanique que nous utilisons n’ont pas vraiment changé en 30 ans. Ce sont les moyens de caractérisation géométrique et mécanique qui ont connu des évolutions fantastiques, en particulier grâce aux progrès de l’imagerie médicale combinée aux approches de modélisation.

  • Bien sûr, j’évoquerai le système EOS®, qui a permis pour la première fois de reconstruire le squelette humain en 3D, de la tête aux pieds, en position érigée, à partir d’une simple paire de radiographies à très basse dose d’irradiation. Utilisé au quotidien dans plus de 500 hôpitaux, il constitue aussi un formidable outil de recherche pour le biomécanicien, à la fois parce qu’il permet de construire des modèles personnalisés, et parce qu’il donne accès à l’observation quantitative à large échelle de volontaires asymptomatiques et de patients présentant diverses pathologies, permettant ainsi d’analyser les évolutions normales (par exemple en fonction de l’âge), pathologiques, ou après traitement médical, orthopédique ou chirurgical.
  • L’élastographie ultrasonore a aussi permis des avancées marquantes dans la caractérisation des tissus mous (disque intervertébral, ligaments), permettant ainsi de contribuer à lever un véritable verrou scientifique.

Dans votre domaine quelles sont les apports et les développements à attendre dans les prochaines années ?

  • Dans le domaine de la biomécanique clinique, le principal apport à mon avis est l’évolution vers la modélisation biomécanique personnalisée prédictive, pour une médecine de précision. Pouvoir prédire le risque de complication mécanique après chirurgie permet de rechercher la stratégie la mieux adaptée à chaque patient. Également, à terme, la capacité à prédire pour chaque patient l’évolution d’une pathologie ouvrira la voie à une meilleure prévention, et parfois à l’élaboration d’une stratégie de traitement précoce adaptée au patient.
    • L’ingénierie tissulaire et le bio-printing représentent également une révolution à venir. Les avancées dans ce domaine, couplées aux approches multi-échelles et aux avancées en modélisation biomécanique personnalisée, devraient permettre de révolutionner la chirurgie avec une médecine de précision plus ciblée, moins invasive et plus efficace.
  • Enfin on ne peut guère parler des apports attendus sans évoquer le développement des techniques d’intelligence artificielle qui, combinées aux méthodes basées sur la mécanique et la physique, devraient permettre dans les années à venir une réduction drastique des temps de calcul y compris dans des problèmes complexes fortement non linéaires. Cela permettra d’intégrer des calculs biomécaniques en temps réel dans différentes applications de routine.

Avez-vous une anecdote particulière ?

Un clin d’œil aux filles qui encore trop souvent n’osent pas s’orienter vers des études d’ingénieurs, ou sont dissuadées par leurs proches.
Je viens d’une famille nombreuse, l’une de mes sœurs avait choisi de s’orienter vers des études de pharmacie, une autre vers la médecine, et pour me différencier j’ai choisi l’ENSAM, d’autant plus que Louis Feuvrais, Directeur de l’ENSAM à l’époque, avait donné une conférence au lycée français de Casablanca, et je m’étais dit « génial, on y fait des choses concrètes ! ». Mon oncle et mon frère ainé, très bienveillants mais perplexes, m’avaient rappelé l’un « mais ce n’est pas pour les filles ! » et l’autre « es tu sure que tu ne trouveras pas très vite barbant et difficile pour toi de faire de la mécanique et de la physique en intensif ? » Heureusement que je ne les ai pas écoutés ! j’ai eu un métier passionnant et l’orientation vers la biomécanique, à partir d’un background solide en mécanique, a été une très belle aventure. Alors à vos jeunes sœurs, amies, nièces, le message c’est plutôt « si cela te plait, fonce », et « la biomécanique, c’est fantastique ! »

Un mot de conclusion ?

Finalement la biomécanique c’est l’élégance de la complexité ! Analyser le vivant ne se situe pas comme une branche de la mécanique, même si les lois de la mécanique sont bien sûr essentielles. La biomécanique se positionne plutôt dans un cadre pluridisciplinaire où différentes spécialités apprennent à parler un langage commun, à progresser ensemble dans le respect mutuel et l’écoute. S’enrichir par des apports multiples permet d’aborder cette complexité dans une recherche de longue haleine, source d’innovations régulières dans de nombreux domaines d’application, tels que le médical, le sport, ou l’ergonomie, au service de l’humain et de la société.

 

 Propos recueillis par B. Watier

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