Par D. Chadefaux et Arthur Paté , lauréats de la bourse Master 2022-2023.
La littérature scientifique sur le son des instruments de musique est riche et les liens entre les vibrations de l'instrument et le son produit sont bien connus (Chaigne & Kergomard, 2016). De même, la perception du son par le musicien a fait l'objet de nombreuses études en acoustique et en psychologie. En revanche, on ne trouve encore que très peu de travaux sur le ressenti vibrotactile des musiciens, c’est-à-dire sur leur perception, via le sens du toucher et un contact direct avec la peau, des vibrations des instruments. Or, le retour vibrotactile des instruments de musique est un aspect important, tant pour le choix d'un instrument que lors du jeu : de bonnes sensations vibrotactiles favorisent le confort et l'apparition de phénomènes d'interaction multimodale (la perception du son est modifiée par la perception des vibrations, et vice versa).
La guitare électrique présente cette particularité que le retour sonore est principalement fourni par l'amplificateur et le retour vibrotactile par l'instrument. De récents travaux indiquent que les guitaristes sont sensibles à l'intensité vibratoire transmise par l'intermédiaire du manche : augmenter le niveau par rapport à un niveau « normal » augmenterait la sensation d'immersion (Cambourian, 2022). Néanmoins, la transmission de la vibration de l’instrument vers le musicien ainsi que les processus d’adaptation de celui-ci face au retour vibrotactile sont aujourd'hui méconnus. Cette adaoptation peut prendre la forme d'ajustements posturaux, induisant une réorganisation musculaire face au retour de son instrument.
Pour répondre à ces enjeux, une expérimentation a été mise en place (cf. Figure ci-dessous) où des musiciens ont répété une séquence imposée à plusieurs tempi. La vibration produite par le manche de l'instrument ainsi que sa résultante au niveau des phalanges proximales du musicien ont été mesurées. Simultanément, la posture et l'activité musculaire des principaux fléchisseurs et extenseurs des doigts et du poignet ont été évaluées.
Figure : Illustration de l'expérimentation mise en oeuvre
L’analyse des signaux révèle que la majorité de l’information vibratoire se propage dans les doigts des musiciens. Le taux de transmission moyen aux phalanges proximales varie entre 20 % et 55 % de l’énergie mesurée sur le manche de la guitare, ce qui est loin d’être négligeable pour un instrument parfois considéré comme inerte ! Ce taux ne semble pas dépendre du doigt utilisé pour jouer la note, mais plutôt du tempo et de la posture de la main. L’augmentation du tempo induit probablement une augmentation de la vitesse de déplacement des doigts et donc de l’intensité de leur impact sur les cordes. Par ailleurs, les données biomécaniques révèlent que malgré une posture stable, l’activation musculaire augmente avec le tempo, probablement afin de stabiliser les articulations et favoriser la bonne exécution de la séquence.
Par la suite, les données seront analysées au regard de la transmissibilité de la vibration afin de mieux comprendre les phénomènes sous-jacents à la perception vibrotactile. Connaître ces informations pourrait permettre, à terme, de proposer des instruments adaptés à chaque profil de musicien : proposer des instruments dont le retour vibratoire sera apprécié, voire modifier le comportement vibratoire d’instruments existants pour en augmenter le confort.
Références
Chaigne, A., & Kergomard, J., (2016). Acoustics of Musical Instruments (Springer).
Cambourian, P. (2022). Caractérisation et perception du retour vibrotactile : cas de la guitare électrique. Thèse de doctorat de l’Université de Lille.
Les auteurs
Delphine Chadefaux, Université Sorbonne Paris Nord
Delphine Chadefaux est maître de conférences en biomécanique depuis 2018. Ses activités de recherche sont accueillies à l’Institut de Biomécanique Humaine Georges Charpak, et abordent la question des ajustements du couplage homme/équipement, et en particulier des phénomènes vibratoires à leurs interfaces, lors de la pratique sportive et parasportive.
Arthur Paté, Junia, IEMN UMR CNRS 8520
Arthur Paté est enseignant-chercheur en acoustique depuis 2017. Ses travaux de recherche portent sur le lien entre les descriptions physique et perceptive des phénomènes sonores et vibratoires, notamment dans le contexte des instruments et interfaces musicales.
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